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Titre du blog : La Nation
Auteur : africanostra
Date de création : 13-11-2009
 
posté le 11-02-2010 à 15:49:26

LA SOCIETE FRACTUREE


 

LES TRIBUS DES CHAMPS ET LES TRIBUS DES VILLES

 

Toute Société est agglomérée sur une base raciale. Cet adjectif ne prend sa connotation négative qu’à l’égard des Peuples faibles, plus enclins à stigmatiser la diversité qu’à assumer leur(s) identité(s).

 

Or, les grands ensembles tels que l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), successeur de l’Agence de Coopération Culturelle et Technique (ACCT) ou le Common Wealth ne peuvent justifier de leur vitalité qu’au regard de leur polyphonie ; de leurs horizons divers ; de leur chatoiement culturel au nom d’une perspective que les Francophones appellent « le Vivre ensemble, différents ».

 

L’homme et la femme, pourtant condamnés à vivre ensemble, n’ont de cesse d’exister séparément. Le Noir et le Blanc n’en finissent pas de régler leurs contentieux ; l’ouvrier et le patron, le riche et le pauvre, l’éduqué et l’illettré. Bref, il se côtoie des mondes divers et différents à l’intérieur de nos Sociétés.

 

Pourtant, par-delà cette exigence des Sociétés soucieuses de fabriquer une Nation, les Sociétés multiculturelles (Gabon, Canada, Brésil) et les Sociétés multinationales (Balkans, Afrique du Sud, Inde) sont les plus segmentées qui soient. En effet, outre les éléments naturels comme la race, l’ethnie, la religion, d’autres tribus apparaissent au fur et à mesure qu’elles se développent.

 

Le cas qui nous semble le plus emblématique des fractures, des segmentations et des classifications ou affinités des sociétés modernes reste celui des « Tribus des villes » et des « Tribus des champs ». Car aux catégories humaines fondées par la Nature, la Culture et les Technosciences ajoutent d’autres segments de Peuples unis par des critères, des centres d’intérêt, des Familles différents de ceux qui résultent de l’impérialisme de la Biologie.

 

N’ayant pas consulté le dictionnaire de la langue française, on entendra ici par tribu, tout ensemble d’hommes unis par un instinct grégaire en raison de liants biologiques, culturel, professionnel ou religieux.

 

D’ailleurs, à y regarder de près, ces nouvelles « Tribus » ou « Familles » apparues avec l’évolution des Sociétés, ont aussi quelque chose de biologique et chimique ! Les « Tribus » des transplantés, des greffés et leurs donneurs ; celles des adoptants/adoptés et leurs familles biologiques ; et les « Tribus » des mères porteuses et des donneurs de semence, créent d’autres Univers qui vivent en parallèle avec les schémas établis.

 

Le phénomène est loin d’être nouveau, rétrograde et préjudiciable au rayonnement des Sociétés humaines. Rousseau l’aperçoit déjà à Rome, aux aurores de la République : « De cette distinction des tribus de la ville et des tribus de la campagne résultat un effet digne d’être observé, parce qu’il n’y en a point d’autre exemple, et que Rome lui dut à la fois la conservation de ses mœurs et l’accroissement de son empire » (Du Contrat social, Librairie Générale Française, Le Livre de Poche/Classiques de la philosophie, 1996, p.132)*.

 

Qui sont donc, en Février 2010, celles des populations qu’il conviendrait d’appeler « Tribus des Champs » ; et lesquelles appartiendraient-elles, aujourd’hui, aux « Tribus des Villes » ?

 

L’identification d’un certain nombre de matières et de valeurs permet de noter cette fracture dans les domaines de l’Education et de l’Initiation (2) et du militantisme politique (3). Mais, les deux critères essentiels de cette distinction restent le Groupe ethnique et la Localité (1).

 

 

(1)-Le Groupe ethnique et la Localité

Ce qu’il importe de souligner de prime abord, c’est que la notion de Tribu que je relève ici n’a pas forcément d’attache géographique, même si celles-ci ne sont pas négligeables. En effet, comme leur nom l’indique, les Tribus des champs sont des ensembles d’Etres et d’Avoirs sous-tendus par leur appartenance ou résidence à une Localité.

 

 

Ils en secrètent ou en épousent les codes, habitus, reflexes, automatismes et autres traits de caractère propres à une identité Locale. Il s’agit, d’abord, des locuteurs-natifs des Régions ou Provinces.

 

On est, avant tout autre rattachement d’ordre culturel, administratif ou spirituel, de la « Tribu » des Fang, des Galowa, Bakota ou Eshira. Ainsi, où qu’on aille, où qu’on se trouve et quelque soit la charge publique ou les conflits qui peuvent opposer les hommes, on puise nécessairement des codes, reflexes, réponses ou esquisses de réponses dans ce vivier naturel.

 

Les Fangs viendraient de partout (Woleu-Ntem, Moyen-Ogooué, Ogooué-Maritime, Ogooué-Ivindo), mais un lien particulier les lie en dehors de toute appartenance à quelque autre affinité à caractère. Le tracé des Frontières politiques (Cameroun, Sao-Tomé Et Principes, Guinée, Gabon, Congo et ailleurs) n’en altère guère le sentiment. On se sent de la même Tribu : « Moa’ Dzang » !

 

Mon beau-frère, du Sud-Gabon, me confie à Saint-Michel-sur-Orge, que le sentiment qu’il ressent à chaque fois qu’il rencontre un Punu du Congo est bien plus chaleureux que celui qui le lie juridiquement à nombre de ses concitoyens, dont moi donc. D’éminents auteurs soutiennent le contraire (Rossatanga-Rignault Guy, Enongoué Flavien, L’Afrique existe-t-elle ? A propos d’un malentendu persistant sur l’identité, Dianoïa/Raponda Walker, 2006)*.

 

Ce brave P. est-il pour autant un renégat ? Je ne puis l’affirmer ni le réprouver de manière péremptoire. Les Sociétés humaines ne sont pas aussi simples qu’un puzzle à agencer mécaniquement au gré des pièces.

 

Au Gabon et en Guinée Equatoriale, la rencontre entre un Bénga et un Kota est toujours aussi empreinte d’émotion, du fait de leur relation singulière; et ,se plaisent-ils à rappeler : « Bénga n’Ikota, Moto Mokô’ô ». Autrement dit : Les Benga et les Kota sont frères. Mon frère Bénga d’Ile-de-France se souviendra volontiers de nos moments d'effusion. « Pont de liane » entre les deux Peuples, j’en porte d'ailleurs un nom éponyme !

 

A côté du Groupe ethnique, la Localité joue également un rôle essentiel dans la fabrication des « Tribus des champs ». Le cas des Fang est d’autant plus intéressant, qu’une affinité singulière les lie à d’autres populations d’un même « Champ » ou d’une même « Campagne » . Je prendrais pour preuve tout à fait empirique la situation d’un Champ particulier appelé l’Ogooué-Ivindo, où Fang, Simba, Ndambômô, Mahongwê, Shamay, Ossyéba, Haoussa, Obamba, Boungôm, Kota et Kuê’l s’appellent par deux noms de code : « 6 » ! « Cadre » ! A ces deux codes s’ajoute un troisième, plus fédérateur et caractéristique d’une « Tribu des Champs » ogivine, délocalisable à volonté : « Mwana M’Boka ! »

 

Aussi, même si les critères transcendent la résidence en Ville ou à la Campagne, voire sur l’ensemble du territoire national, la Localité ne demeure pas moins essentielle à l’existence d’une sorte de « citoyenneté des origines » et de « premiers cercles ». L’Amicale des Etudiants Ogivins (ADEO) a permis d’expérimenter à l’échelle universitaire cette étonnante « Tribu des campagnes ».

 

La Localité est d’autant plus significative de cette affinité, qu’en résidant en Ville, ces types de « Tribus » primitives se voient concurrencées par d’autres, tout aussi étroites qu’attachantes. D’ailleurs, les habitants de la Villes : citadins, urbains, ont des codes, des comportements et des dynamiques qui les rapprochent. En passant mes vacances d’été à Makokou, j’ai souvent constaté la recréation des « Tribus des villes » dans la Campagne par les élèves et étudiants résidant à Libreville et d’autres centres urbains plus développés que le nôtre.

 

Ils s’y retrouvaient plus aisément sur des sujets communs et une forme d’affinité et de solidarité était tout à fait visible entre les « vacanciers ». Ils parlaient de « feux-rouges » ; d’hypermarchés ; de trottoirs ; de sapeurs-pompiers ; de plages puis de barbe à papa ; de piscines ; de banques et d’autobus…Toutes choses qui n’existent pas à Makokou et les rendaient bien étranges dans leur milieu d’origine, rien qu’à en parler. Ceci donnait d’ailleurs l’impression que nous, élèves, collégiens et lycéens vivant en Province, n’étions nullement en vacances. La réaction était implacable : admiration ou rejet !

 

C’est à cet égard qu’on perçoit le poids et l’impact ségrégatif de l’Education et de l’Initiation.

 

 

(2)-L’Education et l’Initiation

La question fondamentale qu’il conviendra de poser, dans un autre exposé, aux Départements qui ont la charge des enseignements, c’est de savoir quel type de programmes souhaitent-ils mettre en place pour la jeunesse : une Education-instruction ou une Education-initiation ?

 

En attendant de leur reformuler en bonne et due forme cette préoccupation, il est loisible de noter que deux Mondes parallèles ou superposés se côtoient au sein de nos Sociétés.

 

D’un côté, la « Tribu » des Eduqués ou, plus exactement, des Instruits, qui épie la « Tribu » des Analphabètes et des Illettrés. Ainsi, le Groupe ethnique et à la Localité (« Tribus des campagnes ») sont-ils supplantés ou concurrencés par d’autres espaces d’agglomération et de solidarité humaines basés sur le degré d’accès de certains à l’Education/Instruction (« Tribus des villes »).

 

Autant en Ville existent les structures les plus performantes et les mieux équipées pour ces tâches, autant on y trouve et créé des « Familles » sont les contours ne coïncident plus avec ceux de la nation (iyong), de l’ethnie (ilôngô), de la tribu au sens racial (ikaka), du lignage (mbaza) et du foyer (djiyo) biologiques. On est frère pour être passé par la Faculté des Sciences de la Santé ou en tant que membres de la très influente Association des anciens élèves du Lycée Léon M’Ba et non plus, ou un peu moins, parce qu’on est originaire de Moulengui-Binza ou d’Anizocq.

 

D’un autre côté, l’appartenance à une même société symbolique fait conduit à la fabrication d’une « Tribu » des Initiés, réputée éclairée et, en face, une « Tribu » des Profanes ou des Égarés, soupçonneuse à l’envi. Le cas des ordres est intéressant à plus d’un titre. En tant que frères par ces deux « Tribus », la classification selon la Localité et le Groupe ethnique devient progressivement inopérante.

 

Résidents de la Campagne et de la Ville sont de la même « Tribu », dès lors qu’ils sont conscrits. Mais il n’est pas moins vrai qu’une certaine hiérarchisation, due aux rites, créé une sorte de condescendance, en faveur des Villes ; et une forme de revendication d’authenticité, de la part des Campagnes. En fonction des circonstances, du contexte et des tribulations d’époque, le curseur en vient donc à bouger vers l’une et l’autre. L’appartenance des femmes à ces infra-sociétés exacerbent davantage les conflits et les fractures.

 

Emile Chartrier dit Alain voit donc juste, lorsqu’il observe que la guerre naît plus de la convergence des intérêts des hommes que de leurs différences. Lorsqu’on (se) combat pour la même chose : le Pouvoir ou la domination, le conflit sert fatalement d’armure.

 

Aussi, à la fracture naturelle qui oppose la « Tribu » des femmes à la « Tribu » des hommes, s’ajoute une autre, selon que les unes et les autres sont dotés ou non des mêmes référents culturels, professionnels ou symboliques. La question est encore accrue lorsqu’on y ajoute l’écheveau politique.

 

(3)-Le militantisme politique

L’une des « Tribus » qui transcende avec force et brouille les registres de la Famille naturelle, c’est la politique. Le militantisme, en principe, ignore la Localité, le Groupe ethnique et bien d’autres articles à caractère racial.

 

Ici, l’idée de deux catégories distinctes se déplace en mettant aux prises la Majorité gouvernementale, perçue comme une forme de « Tribu des Villes » et l’Opposition, réduite à jouer le rôle de « Tribu des Campagnes ». Sans mauvais jeu de mots ! La création, l’animation et la vitalité d’un parti politique de masses sont donc essentielles à la construction d’une Société unitaire ; l’esprit grégaire des Localités et des ethnies, à défaut de disparaître, va s’amenuisant.

 

Les tentatives de repli, les discours rétrogrades et l’instrumentalisation du noble art qu’est la politique au profit des fins imparfaitement collectives, sont à proscrire.

 

 

***

Le Monde des humains paraît homogène. Il donne parfois l’impression qu’on y est en harmonie, en phase, en connexion avec son frère, son patron, sa colombe. Dans la réalité, deux, trois, une multitude de « Tribus » se côtoient, s’espionnent, s’envient ; s’éprouvent ; se bousculent, se neutralisent.

 

Autant de segments, qui montrent à suffisance que l’Etre humains est un être à dimensions et fonctions multiples. Il est fait de Corps, d’esprit, d’Ame. Il est aussi fait de Raison, d’Instinct, d’Intuition et de Pulsions. L’essentiel, pour les Sociétés pauvres, c’est qu’aucune de ces dimensions ne prennent le pas sur les autres.

 

Comme le dit un vieux proverbe anglais : « Diversity Is The Spice of Life ». Oui, « La diversité est [effectivement] le sel de la vie ». Il faut la ménager, la promouvoir, la protéger. A chacun de choisir son ennemi intime, afin de se maintenir en perpétuel éveil.

 

Il est toutefois à craindre cette méprise observée par Rousseau : « On croirait que les tribus urbaines s’arrogèrent bientôt la puissance et les honneurs, et ne tardèrent pas d’avilir les tribus rustiques : ce fut le contraire ».

 

Le désir des membres des « Tribus des Villes » à retourner chez eux en cas de crises majeures ; leur volonté d’être enterrés dans leur Localité d’origine ; à y célébrer les événements les plus marquants de leur existence, montrent à suffisance la primauté ultime des liens qui nous unissent à jamais à nos « Tribus des Campagnes ».

 

 

Arthur BENGA NDJEME : Paris, le 08/02/2010, 00h00

 

Commentaires

berrejl le 13-02-2010 à 04:53:18
J'ai beaucoup aimé ce texte qui s'appuie sur la culture mais surtout sur des exemples authentiques issus de l'expérience et de l'observation de l'auteur. Vous êtes talentueux M. Arthur Benga Ndjeme!