Me jeter dans tes bras
Papa ! mon grand papa à moi ! rien qu’à moi !
Te reverrai-je, avec ta barbe blanche,
Pour reprendre nos conversations franches ?
Te reverrai-je jamais, mon papa, mon roi ?
Quand je distinguais ton pas, dansant la rumba,
Au milieu de ceux de tes camarades,
Je cessais un bon moment d’être malade,
Fier d’être le petit-fils d’Essomba !
Mon papa à moi ! quand tu jetais ton rasoir,
Je le sortais aussitôt de la poubelle,
Passais du savon sur mes joues, mes aisselles
Et mon torse, comme toi devant le miroir.
Quand tu venais en vacance avec ton manteau
Demi-saison pour m’apporter, à l’école,
Cahiers, gommes, crayons, règles et colle,
Je brillais comme une lame de couteau !
Ô papa de mes rêves de premier né !
Mon papa qui châtiais les âmes molles
Avec franche rigueur ! mon papa-idole,
Donne-moi ta force dans mes devoirs d’aîné!
Et ce soir encore, mon esprit vagabond
Vole vers tes deux cadeaux d’anniversaire
Pour mes neuf ans : des denrées alimentaires
Et un grand film au cinéma Le Gabon.
Je sais que ta prière pour cette nuit
Sera pour mon succès et ma réussite ;
Car tu attends une meilleure suite
A tous tes efforts ; sans trompette ni bruit.
Je sais que tes quatre psaumes du matin
Demandent toujours mon retour au village,
Sain et sauf, pour préparer ce mariage
Que tu veux célébrer dans tes habits satin.
Ô papa!mon petit papa! je te revois,
Bras croisés, dans notre immense péristyle
Méditant sur les murs de ce monde hostile,
De richesse insolente et de dicours grivois.
Ah! te reverrai-je de ma vue embrumée,
Dans cette forêt équatoriale
Toujours égayée par le chant des cigales
Et les senteurs des plantations en fumée?
Te reverrai-je jamais après tant d'années,
Pour construire notre château, ensemble,
Avec ce petit monde qui me ressemble?
Te reverrai-je après t'avoir abandonné?
Te reverrai-je quand-même, au coin du feu,
A l'air frais et doux de notre beau village,
Après avoir vêtu le hideux visage
De l'exil et acquis la poésie pour jeu?
Papa, quand tu m'annonces que ton seul désir
Serait de me voir me jeter, corps et âme,
Dans tes bras, je me sens comme une lame
Affûtée sous la cape chaude d'un vizir!
Arthur Serge