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Titre du blog : La Nation
Auteur : africanostra
Date de création : 13-11-2009
 
posté le 24-03-2011 à 21:00:11

LIBYE. Où est passée ma Souveraineté?

 

Du (non) recours à la force dans les Relations internationales

 


***

 

Qui veut noyer son chien,

l’accusera toujours de la rage

 

 

 

Le retour à la diplomatie de la canonnière

dans la vie internationale?

 

 

 

 

 

 

 


Par Guy Rossatanga-Rignault

Professeur à l’Université de Libreville. Gabon.

 

***

Longtemps instrument privilégié de la projection de puissance des Etats, la diplomatie de la canonnière (qui consistait à tirer au canon à partir de la mer sur les côtes des pays qui ne payaient pas leurs dettes) a symbolisé, jusqu’à son abolition par la convention Drago-Porter de 1907, un certain état de  la vie des nations. Serions-nous entrain d’y revenir ? Des signes, trop de signes, le laissent penser.

Samedi 19 mars 2011, un sommet s’est réuni à Paris pour mettre en application une résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies : Pour protéger « les civils », le « peuple »  libyens contre Kadhafi, le canon doit tonner. Missiles de croisière et autres « bombes intelligentes » doivent s’abattre sur le sol africain pour empêcher un chien enragé (ainsi l’appelait Ronald Reagan) de continuer à mordre son peuple.

Est-il nécessaire de préciser qu’il n’y a ici nulle compassion, ni sympathie pour le chien enragé du moment?

Un de mes bons amis m’a dit : «C'est vrai que la souveraineté est tout ce qui reste à nos dictateurs pour nous imposer impunément leur dictat. Il est probable que l'Occident ne poursuive pas le même objectif que le peuple Libyen. Mais s'il peut permettre à la Lybie d'être débarrassée de son monstre, moi je dis tant mieux. Par la bombe ou par la barbarie d'un dictateur, il faut bien mourir de quelque chose ». Bien sûr, bien sûr ! Qui aime les dictateurs ? Tout le monde aime la liberté, n’est-ce pas ?

 

L’Union africaine, invitée, n’a pas participé à la grand’ messe de Paris. Elle a ensuite protesté contre l’opération occidentale (suivie de la Ligue arabe, qui avait pourtant participé au sommet de Paris). Il reste donc, a priori, un peu de raison à Addis. Et, quelles que soient les motivations qui fondent ce choix de l'UA, il doit être salué. Car participer au tribunal de l’Inquisition préparant la croisade revient à contribuer activement à l'écriture en cours du retour à une vie internationale frappée du sceau brûlant de la canonnière qui ne s'appliquera, à l’évidence, qu'aux plus faibles au nom, de la liberté, de la démocratie, des droits de l'Homme etc...

Ainsi avait commencée l'aventure coloniale. Relisez donc les textes de l'époque. Hier, on a canonné pour nous libérer de rois nègres (forcément tyranniques) et pour nous civiliser.

 

N’est-ce pas ce que nous annonçait le bon Léopold II, roi des Belges : « Ouvrir à la civilisation la seule partie du globe où elle n'a pas encore pénétré, percer les ténèbres qui enveloppent les populations entières, c'est si j'ose le dire, une croisade digne de ce siècle de progrès. Il s'agit de planter l'étendard de la civilisation sur le sol de l'Afrique centrale et de lutter contre la traite des esclaves. » (Discours d'ouverture de la Conférence de géographie de Bruxelles).

         Plus précis et objectif, un  maître du droit français de ces temps bénis rappelle que « Coloniser, c'est se mettre en rapport avec des pays neufs, pour profiter des ressources de toute nature de ces pays, les mettre en valeur dans l'intérêt national, et en même temps apporter aux peuplades primitives qui en sont privées les avantages de la culture intellectuelle, sociale, scientifique, morale, artistique, littéraire, commerciale et industrielle, apanage des races supérieures. La colonisation est donc un établissement fondé en pays neuf par une race avancée, pour réaliser le double but que nous venons d'indiquer. » (Précis de législation et d'économie coloniales). Trop cool, comme disent les jeunes !

 

         Encore plus précis, A Sarraut, ministre français des colonies souligne que « La nature a distribué inégalement, à travers la planète, l'abondance et les dépôts de ces matières premières; et tandis qu'elle a localisé dans cette extrémité continentale qui est l'Europe le génie inventif des races blanches, la science d'utilisation des richesses naturelles, elle a concentré les plus vastes réservoirs de ces matières dans les Afriques, les Asies tropicales, les Océanies équatoriales, vers lesquelles le besoin de vivre et de créer jettera l'élan des pays civilisés. L'humanité totale doit pouvoir jouir de la richesse totale répandue sur la planète. Cette richesse est le trésor commun de l'humanité. » (Grandeur et servitudes coloniales).

 

         Arrêtons-là cette litanie, en nous souvenant du Fardeau de l’homme blanc de l’immense Rudyard Kippling :

 

« O Blanc, reprends ton lourd fardeau :

Envoie au loin ta plus forte race…

Pour - lourdement équipé – veiller

Sur les races sauvages et agitées…

O Blanc, reprends ton lourd fardeau;

Tes récompenses sont dérisoires :

Le blâme de celui qui veut ton cadeau,

La haine de ceux-là que tu surveilles.

La foule des grondements funèbres

Que tu guides vers la lumière :

‘’Pourquoi dissiper nos ténèbres,

Nous offrir la liberté’’ ? ».

 

         Rien de nouveau donc sous le soleil.

 

Aujourd'hui et demain, on viendra nous canonner pour nous libérer de tyrans triés sur le volet et pour nous apporter la liberté et la démocratie. C’est beau, c’est grand, c’est noble, c’est magnifique !

 

Chaque jours qui passera désormais, permettra de trouver un chien qu'on accusera, à tort ou à raison, de rage et qu'il faudra nécessairement noyer.

 

La « communauté internationale » décidera qui est enragé et qui ne l’est pas. Qui est « civil » à protéger et qui ne l’est pas. Il n’y aura pas de grille de lecture connue d’avance. On triera au gré des passions ou des intérêts (de toutes natures) du moment. La mère et l’enfant palestinien qui meurent sous les bombardements israéliens ne peuvent, évidemment, pas être ces civils à qui s’applique la responsabilité de protéger dont on nous remplit les tympans ces derniers jours. Certainement pas, d’ailleurs, un Palestinien (même enfant, même femme) c’est, par définition non protégeables (tous des terroristes !).

 

Alors, les bonnes âmes nous disent : « Oui mais faut-il laisser Kadhafi massacrer des civils sans rien faire ? » C’est la question qui tue, car toute réponse autre que négative implique de vous déférer aussitôt pour complicité de crime contre l’humanité devant le nouvel arbitre des élégances humanitaires qu’est la Cour Pénale Internationale.

 

Il est même interdit de poser une question idiote : « C’est quoi un civil ? » Est-ce un individu qui ne porte pas un uniforme et n’appartient pas une armée officielle ? Pourquoi pas ? Partant de là, il est bien entendu qu’un individu n’émargeant dans aucune armée gouvernementale, vêtu d’un jean et d’un tee-shirt et tenant à la main une kalashnikov ou un lance-roquette est forcément un civil qu’il convient, en effet, de protéger (à Benghazi, comme à Abobo). Même lorsqu’il tire sur d’autres (militaires, « traitres », partisans du « pouvoir », dont, par définition, la vie n’a aucune valeur, ça va de soi) et ne se contente pas de faire « pan pan » de la bouche.


 

Et, la bonne éducation voudra qu’on applaudisse à s’en rompre les phalanges chaque fois que, au nom d’une pseudo morale humanitarisante et démocratisante de la Vingt-cinquième heure, sera arrêté le principe  de la destruction des infrastructures civiles ou militaires d'un petit pays par les nouveaux croisés.

 

Comme on aimerait se tromper. Mais depuis quelques temps, un sombre pressentiment se fait jour. Celui d'un nouveau monde dont les lendemains chanteront une drôle de musique pour les "petits" qui auront irrémédiablement perdu la seule défense dont ils disposaient jusque-là et qui est devenu depuis un gros mot : la souveraineté.

 

 



 

Guy ROSSATANGA-RIGNAULT
Professeur à la Faculté de Droit
et Sciences Economiques de l'Université de Libreville-UOB
Consultant
izolwe2@yahoo.fr