VEF Blog

Titre du blog : La Nation
Auteur : africanostra
Date de création : 13-11-2009
 
posté le 12-09-2010 à 20:29:39

ECHOS DE LA THESE DE M. BRICE LEVY KOUMBA

 

DU BONHEUR DANS SA RELATION AU CRIME : APPROCHE ETHICO-POETIQUE DU TEXTE SADIEN

 

DISCOURS DE SOUTENANCE

 

C’est maintenant qu’il faut disposer les coeurs à l’un des discours des plus durs, des plus controversés et peut-être même des plus authentiques qu’il ait été donné d’entendre sur la condition humaine.

 

De quoi au juste est-il question ? De crime. Mais surtout de texte. Le texte dont il s’agit ici est celui écrit et légué à l’histoire par le Marquis de Sade, un texte qui laisse froid tellement il demeure terrible et effrayant. Partout on y rencontre crimes sur crimes et effets de crimes. La douleur, le mal y est partout, chaque ligne en est habitée, chaque ligne porte le crime, engendre le crime qui devient pour ainsi dire une action des plus banales.

 

Cette présence banale du crime dans le texte s’est manifestée chez nous comme un véritable rendez-vous de problèmes et de questions. Questions qu’il était plus qu’impérieux de convertir en réponses. Elles justifient, ces questions, à elles seules cette recherche qui nous a occupés ces derniers temps et dont nous livrons dès à présent les aboutissants.

 

Le problème que soulèvent les travaux qui sont débattus aujourd’hui est double en ce qu’il met devant le regard deux objets d’intérêts distincts toutefois complémentaires. D’un côté, il soulève une problématique d’ordre littéraire et d’un autre côté il libère un questionnement d’ordre existentiel. Le problème dont il s’agit ici nous plonge au coeur du poétique et de l’éthique justifiant alors notre approche éthico-poétique.

 

En tant que poétique, le problème dit ceci : pourquoi y a-t-il du crime en littérature plutôt que toute autre chose ? Au niveau éthique, il pose une question, celle-là même qui se décline comme suit : que veut l’homme lorsqu’il agit ?

 

Les réponses que donne Sade à ces questions sont tout aussi paradoxales que terrifiantes car elles trouvent leurs déploiements à partir de la notion du crime. Au niveau poétique le crime n’est que la loi du texte, loi qui génère l’écriture, la rupture nécessaire qui procède au mouvement du texte et qui lui donne le caractère mâle nécessaire au plaisir du lecteur.

 

L’écriture n’est possible qu’à se criminaliser afin de parvenir à son expression la plus inouïe, la plus sublime. Le crime, nous dit Sade est au service de la perfection du texte, il n’est pas un accident mais le mouvement même de génération du texte qui n’évolue que par rupture. Le crime n’étant au final que l’expression des ruptures dan le texte. Ces ruptures s’observent par le mouvement des corps, les soubresauts du style ou encore par la turbulence intrinsèque à la langue, la négation de la langue pour l’avènement de l’outre-langue. Celle-là qui dit le vice en toute innocence ou encore la violence en tout silence. Devenu d’autant plus terrible qu’elle est une langue de sang qui efface, banalise, normalise les effets pervers qu’elle génère.

 

Pourquoi y-a-t-il du crime en littérature ? Parce que nous montre Sade, la littérature n’est possible qu’à se criminaliser. Elle ne peut dire autre chose que du crime, elle ne peut parler mieux que du crime et ce faisant elle parvient à sa propre réalisation. La littérature ne serait littérature que parce qu’elle ne dirait que du crime, une rupture, un mal initial qu’il s’agit alors de résorber ou d’intensifier. La littérature est toujours déjà fille du mal. Ne dit-on pas que l’écriture est rapport à la mort ? Le crime dit autrement cette mort là.

 

Sortons de la poétique et entrons à présent dans l’éthique. La poétique est la science du littéraire. Elle a pour objet l’exhumation des lois déterminant la génération du texte et les particularités formelles de celui-ci. L’éthique demeure ici entendue comme étant la réflexion sur l’action la meilleure adoptée par l’homme en vue de la réalisation de ses aspirations. Elle n’a donc rien d’une obligation déontologique mais elle porte son regard sur le choix le meilleur adopté par l’homme afin de parvenir à ses fins, le moyen de ses fins. C’est-donc une éthique téléologique, une réflexion sur la finalité des actions humaines. A ce titre la question que soulève la recherche entreprise se décline comme suit : Que veut l’homme lorsqu’il agit ? Que veut-il ? La réponse à cette question a donné le titre de ce travail à savoir Du bonheur dans sa relation au crime.

 

Qui sur cette terre n’a pas rêvé d’être heureux ? Aussi paradoxal que cela puisse paraître, Sade, par le crime, soulève la question du bonheur. Et pourquoi procède-t-il ainsi ? Parce qu’il part d’un constat foncier : l’homme est fondamentalement méchant et l’existence hermétiquement pénible. L’homme y est comme enfermé, y vivrait une existence pénitentiaire c’est-à-dire qu’il est comme dans une prison où ne sévirait que la bestialité carcérale. Là ne sévit qu’une chose : le crime.

 

Sade pose alors une question ? Dans un monde qui ne nous propose que le crime, l’homme vit partout la souffrance. Comment alors s’en sortir et vivre enfin heureux ? Partout sévit le crime, le crime rend l’homme malheureux. Mais l’homme est déterminé par ses aspirations à vivre heureux, à rechercher les situations de joie. Comment alors dans un univers où ne sévit que le crime cesser d’être malheureux ? Pour Sade, il est totalement dangereux d’être un homme de bien parce que l’homme est un être fondamentalement méchant. Il ne répond au bien reçu que par le mal. Il est fondamentalement un être égoïste manquant de reconnaissance. En outre, les relations humaines ne s’opèrent que sous le mode de l’intérêt, que sous le mode du conflit des volontés, ou du conflit d’intérêts ou encore du conflit d’egos.

 

 

Dans ces conditions, le mal devient ce qui va à l’encontre de ma volonté. Et le bien ce qui réalise mes aspirations quel qu’en soit les conséquences sur autrui. Faire le bien dit Sade, est un pari risqué car le bien est inopérant dans le monde. Il expose l’homme à ne connaître que la peine dans l’existence d’où son hypothèse des infortunes de la vertu. Dans le conflit des volontés, seul la raison du plus fort demeure la meilleure. Elle consiste en l’élimination des obstacles afin de vivre enfin heureux. Le crime est le moyen de cette élimination. Le crime rend malheureux, certes, cependant il rend tout aussi heureux. Mais d’où vient le fait que pour réussir l’homme doit-il se battre et éliminer les obstacles qui se présentent devant lui ? D’où lui vient le besoin d’éliminer son altérité ?

 

 

Le texte de Sade est spermatiquement mouillé. Là au coeur de cette humidité spermatique se trouve certainement la réponse à cette question. Elle nous plonge au coeur de la bataille initiale. C’est certainement l’interprétation majeure que l’on devrait retenir de ce travail. Elle parle de notre advenue à la vie.

 

Si avec Socrate la connaissance s’acquiert par réminiscence par le truchement de la maïeutique, qui est la science d’accoucher les esprits, la connaissance que l’homme porte en lui et le meut indépendamment de sa volonté est le souvenir en lui, dans son corps, dans ses gênes, dans sa pensée et dans son esprit, de la lutte initiale pour la vie. Cette lutte commencée avant sa naissance lui rappelle comme une trace dans la conscience que pour vivre, des milliers d’êtres ont dû périr par son effort et ont manqué pour ainsi dire la vie. Ce qui a commencé dans l’état spermatique de son existence, se poursuit dans son état organique, social ou existentiel. Le crime est la réminiscence dans l’homme de la bataille spermatique qui rappelle à l’homme que vivre est essentiellement une lutte des instincts pour la suprématie.

 

La vie est essentiellement une configuration de domination au sein de laquelle l’homme doit nécessairement parvenir au point suprême de la hiérarchie pour vivre, c’est-à-dire pour s’épanouir. Cela explique le conflit des volontés qui est la bataille des égos dans les relations humaines même là où l’on prône l’amour, l’harmonie ou l’unité. Le crime est cela, cela qui rappelle à l’homme l’effort qu’il a dû accomplir et la force qu’il a dû déployer pour être le premier, l’unique, le meilleur au détriment des autres qui ont dû manquer la vie pour faute de sa suprématie. Le crime est nécessairement un choix : le choix que l’homme fait de lui-même, de sa vie au détriment de la vie et de l’avis d’autrui.

 

La bataille commencée avant la naissance se poursuit dans la vie au sein de laquelle l’homme est déterminé vers la souveraineté. Le bonheur est l’état qui se confond à cette souveraineté là. La bataille initiale à l’origine de notre vie s’étant soldée par l’élimination progressive et totale de l’altérité, la vie n’étant rien d’autre que la répétition de cette bataille, notre suprématie, entendue comme état et point de convergence des strates d’épanouissement, n’a d’autre fondement réel que l’élimination des obstacles à notre épanouissement dans toutes leurs formes.

 

Cela dit apprenons à condamner le crime, et à nous toléré les uns les autres dans un contrat social autorisant un vivre mieux ensemble. Le coeur de l’homme est-il disposé à la tolérance, à l’adoption d’autrui comme une part intégrale de soi ? Le coeur de l’homme est-il disposé à la bonté ?

 

Tout en ouvrant, nous pouvons nous arrêter à ce niveau afin de poursuivre de façon dialogale la communication. Cela étant dit, je vous remercie pour votre attention. Monsieur le président, je vous restitue la parole.

 

Brice Levy Koumba

Nancy, le 07 septembre 2010

 

[Avec les félicitations de LA NATION]