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Titre du blog : La Nation
Auteur : africanostra
Date de création : 13-11-2009
 
posté le 04-06-2010 à 04:56:03

QUELLES FONCTIONS POUR QUEL MANDAT?

Le Gabon Emergent et la reconfiguration des fonctions du président de la République

 

   

 


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Aux termes de l’Article 14 de la Constitution du 26 Mars 1991, maintes fois modifiée, « Les fonctions de Président de la République sont incompatibles avec l’exercice de toute autre fonction publique et activité privée à caractère lucratif. » Cette incompatibilité, faute d’une Histoire constitutionnelle substantielle susceptible d’éclairer le lecteur et le Citoyen reste floue, car nombre d’interprétations tirées du bon sens, comme de la mauvaise foi, peuvent concourir à l’expliquer.

 

Dans le champ du bon sens, il est plausible qu’elle épargne le Président de la République à des tracasseries dont l’activité est potentiellement nuisible à l’exercice du mandat pour lequel il est élu : servir la Nation. Mais le bon sens peut également présupposer qu’avec une fonction aussi prestigieuse et, malgré tout, bien rémunérée (excusez du peu), il n’est pas équitable, pour le Pacte républicain, qu’on lui en attribue une autre. Dans ce lot de bonnes intentions, naviguent, comme des billes d’okoumé échouées dans l’océan, quelques explications qui peuvent relever de la mauvaise foi. Et l’un des clapotis de ces bateaux mortels est caractérisé par l’idée selon laquelle une autorisation du président de la République à exercer d’autres fonctions publiques et privées pourrait engendrer une confusion des tâches et de patrimoines, en cas d’activités lucratives ou rémunérées.

 

Pourtant, cette supputation, qui frise la mauvaise foi, est justifiée, dans d’autres Sociétés, par une Histoire constitutionnelle plus dense où la cassette du Prince était en même temps celle de l’Etat et vice-versa. Ainsi, cette incompatibilité est-elle, dans le système constitutionnel français, déduite de l'interprétation de la Loi fondamentale.

 

Faute d’antécédents et en l’absence d’une filiation du président de la République du Gabon à une succession institutionnelle de type monarchique, qu’est-ce qui a pu motiver le constituant gabonais à graver dans le marbre l’impossibilité, pour la Clef de voûte des institutions, d’exercer toute autre activité professionnelle créatrice de revenus ? Pourquoi, la Constitution française (CF), considérée à juste titre comme l’inspiratrice de la Loi fondamentale du Gabon, ne porte-t-elle pas expressément une disposition de cette portée ? Seuls les membres du gouvernement français sont, en effet, constitutionnellement astreints à cette obligation car ils voient leurs fonctions déclarées « incompatibles avec l'exercice de tout mandat parlementaire, de toute fonction de représentation professionnelle à caractère national et de tout emploi public ou de toute activité professionnelle » (Article 23, alinéa 1 CF)*. Le Gabon fait-il exception dans le domaine du puritanisme républicain ou existe-il d’autres modèles constitutionnels capables de nous aiguiller en cette matière ? Comment le constituant gabonais en est-il arrivé à être aussi méfiant ou aussi peu confiant envers le chef de l’Etat ?

 

L’un des pays les plus proches culturellement et géographiquement, auquel je ferai souvent référence, c’est le Sénégal qui, comme le Gabon, soustrait le travail du président de la République à toute autre charge à caractère professionnel et/ou lucratif, déclarée constitutionnellement incompatible avec la fonction présidentielle (Article 38, alinéa 1 de la Constitution du 7 Janvier 2001, in http://www.au-senegal.com/IMG/pdf/Constitution-senegal-juin2009.pdf)*. Pour ce qui concerne également le Congo, comme on le verra plus avant pour la Côte d’Ivoire (infra, 2-c)*, les charges présidentielles « sont incompatibles avec l’exercice de tout autre mandat électif, de tout emploi public, civil ou militaire, et de toute activité professionnelle » ; y compris « avec toute responsabilité au sein d’un Parti politique » ( Article 72, Constitution de la République du Congo (CRC), 20.01.02, http://www.presicongo.cg/files/my_files/constit200102.pdf  )*.

 

Le cas congolais est assez intéressant, bien que les prescrits de la Constitution ne jouissent d’aucune force irrésistible en matière de lutte contre la corruption du pouvoir et par le pouvoir. Car le Congo interdit à ses dirigeants toute acquisition personnelle et sur fonds propres durant leur mandat (infra, 2-c)*, de telle manière qu’il ne puisse exister quelque confusion sur les patrimoines privés et les biens de l’Etat.

 

Sauf erreur de ma part, la Constitution gabonaise (CG) de 1975 ne porte aucune mention de ce régime restrictif quant aux fonctions du président de la République (Loi n°1/75 du 15 Avril 1975, modifiée par la Loi n°11/86 du 25 Septembre 1986, Journal Hebdomadaire d‘Informations et d’annonces légales n° 126-6 Décembre 1986)*. Il en est de même de la Constitution transitoire promulguée par la Loi n°4/90 du 28 Mai 1990 (Voir Journal Hebdomadaire d’Informations et d’annonces légales n° 211-9 Juin 1990)*. C’est, bel et bien, l’élan démocratique et pluraliste consécutif à la Constitution du 26 Mars 1991, qui intègre au texte constitutionnel un Article 14 consacré à l’incompatibilité de la fonction présidentielle avec toute autre activité génératrice de revenus (Loi n° 3/91, in Journal Hebdomadaire d’Informations et d’annonces légales n°229-30 Mars 1991)*.

 

 

On ne peut donc s’empêcher, d’observer que l’institution qui fut au four et au moulin en tant que président de la République, chef de l’Etat ; chef du Gouvernement avant la réforme du 26 Avril 1979 ; Secrétaire général du Parti-Etat, donc seul habilité à être investi à la présidence de la République (Article 5, alinéa 3 de la Constitution du 14/04/ 1975, modifiée en 1986)*, jouisse aujourd’hui d’une fonction réduite au strict minimum, suite au « vent de l’Est » dont les effets ont fini par balayer quelques singulières mentalités au Gabon.

 

Ces effets ont si rudement ébranlé la conscience collective, quant à la restriction du champ des compétences du président de la République, que le chef de l’Etat défunt en fut lui-même converti à l’humilité, en sollicitant le concours de ses concitoyens à sa mission républicaine. On en veut pour preuve, ce paragraphe fort éloquent de son projet de campagne en 2005 : « Je compte m’impliquer dans un engagement total en faveur de la réduction des inégalités et de la lutte contre la pauvreté. Naturellement, ceci ne peut se faire qu’en mobilisant des moyens humains, matériels et financiers importants » (Omar Bongo Ondimba, Mon Projet, des Actes pour le Gabon, Synthèse, Multipress Gabon 46/76/05, p.4)*. On est bien loin des slogans d’antan faisant du président de la République, « L’Arme du Présent et du Futur » !

 

Bien évidemment, dans le contexte de l’Emergence, où aucune question institutionnelle se doive plus revêtir quelque dimension taboue, la République devra répondre à ces préoccupations qui mettent à l’étroit l’espace vital du Chef de l’Etat. Car le Gouvernement ne pourra passer outre l’exigence d’une révision constitutionnelle devant arrimer les normes fondamentales au Gabon Emergent.

 

 

Pour aider le Citoyen et le Décideur à collecter quelques éléments de réflexion, je me propose d’exposer mon sentiment dans trois points corrélatifs. Il s’agit, de prime abord, de rechercher les fondements constitutionnels de l’incompatibilité entre la fonction de président de la République et toute autre activité (1), afin d’en expliquer l’instauration par le constituant. Or, ces bases légales ne me paraissent pas ou plus pertinentes, au regard de la dynamique de l’Emergence, qui exige une Présidence décomplexée et adaptée aux défis contemporains (2). Car, ouvrir le champ des possibles au Chef de l’Etat en matière d’activités publiques et privées, est à mon sens, une prévention des écueils d’un « affairisme » sous-terrain préjudiciable à l’économie nationale (3).  

 

 

(1)-Les fondements constitutionnels de l’incompatibilité entre la fonction de président de la République et toute autre activité

Il existe un foisonnement de justifications constitutionnelles à l’incompatibilité établie entre les charges du président de la République et d’autres fonctions publiques ou privées. Je choisis de le regrouper en trois points, afin d’en faciliter l’identification. En effet, comme je l’ai exposé dans ce même espace (Cf Africanostra, le 02.03.2010)*, le Président de la République est doté de Pouvoirs et d’une Autorité inadaptés à la concurrence (a). Plus précisément, ouvrir le marché commun de l’emploi à cet organe, conduirait à une application complexe de l’égalité républicaine (b). En revanche, le contraindre à n’exercer qu’une seule fonction, revient à préserver l’intégrité et l’intégralité du serment présidentiel (c). 

 

a-Le Président de la République est doté de pouvoirs et d’une autorité inadaptés à la concurrence

En revisitant les attributions et les attributs de la présidence de la République, on en saisit mieux le caractère inéquitable d’une disposition constitutionnelle qui l’autoriserait à exercer des fonctions rétribuées à caractère public ou privé. 

 

*Des pouvoirs.-Le Président de la République est président du Conseil supérieur de la magistrature. A ce titre, il est le chef de le Justice. La perspective ou l’hypothèse d’un exercice d’autres fonctions le conduisant à répondre illicites y relatifs rend suspecte et dubitative toute présomption de procès équitable si quelque autre justiciable venait à l’affronter devant une juridiction. Pour éviter de faire prospérer cette suspicion, l’incompatibilité me semble justifiée.

 

 

Rend également incompatible sa fonction élective avec toute autre activité d’une autre nature, le fait qu’il est le détenteur suprême du pouvoir exécutif. Car on ne peut raisonnablement attendre d’une personne engagée dans des opérations économiques et financières, qu’elle soit impartiale dans la mise en œuvre de dispositions réglementaires qui porteraient atteinte à ses propres intérêts.

 

 

De plus, en tant que chef suprême de la Puissance publique (Armée, Sécurité, Administration)*, à la fois capable de révoquer le Chef du Gouvernement* et de dissoudre la puissance qui fait les Lois*, le Président de la République ne serait décidément pas un fonctionnaire, un commerçant, un artisan ou un spéculateur neutre. Ceci tient des Pouvoirs qu’il jouit au prisme de la Constitution, mais son Autorité de « Chef de Village » et « Chef de Clan », affirmée par la Coutume gabonaise, est aussi un élément susceptible de fausser le jeu de la concurrence et de la compétition qu’impliquent les fonctions publiques et privées.

 

*De l’Autorité.-Son statut coutumier de « Père de la Nation » ne faciliterait pas la gestion d’un « travailleur » aussi délicat dans une entreprise publique ou privé. Il serait même indécent qu’on laissât cette institution sacrée qu’est le Père (PR ?) se mêler aux querelles quotidiennes des activités de nature lucrative, où on risque à tout moment et de tout côté l’injure et l’altercation ; la défiance et la médisance.

 

Or gérer une Nation, c’est comme transporter des oeufs. Et, tel que l’avait rappelé Son Excellence Joseph Kabila-Kabangue : « Celui qui transporte des œufs ne doit pas se mêler aux querelles ! » Il est donc sage, que le Chef du Village restât paisiblement assis dans le fauteuil en lianes douillet que la Nation lui a tressé pour sept (7) ans. Et, comme il a tant à faire pour le Peuple, la Constitution juge capital de reconnaître au président de la République pleine liberté de s’organiser dans l’exercice de son mandat, sans en être empêché ou perturbé par quelque autre activité.

 

Si la Constitution l’autorisait, malgré tout, la Magistrature d’influence jouerait au détriment du jeu de la libre et équitable compétition, au détriment des acteurs en concurrence avec le Chef de l’Etat. Ce qui conduirait à une application complexe de l’égalité républicaine.  

 

b-Ouvrir le marché commun de l’emploi à cet organe conduirait à une application complexe de l’égalité républicaine

L’instauration de l’exclusivité de la fonction présidentielle semble également préserver le principe d’égalité des Citoyens devant la Loi ou, mieux, devant le Droit. Or, de par l’immunité juridictionnelle (sauf cas de haute trahison, loin d’être légions !) dont est chargée son statut, la Constitution ne pourrait être autoriser le Président de la République à exercer d’autres activités à but lucratif, en sachant qu’en cas de délit ou de crime, sa responsabilité ne serait pas engagée. A moins d’opérer une détachabilité entre les actes perpétrés dans l’exercice de ses fonctions rétribuées et d’autres, commis en qualité de Chef de l’Etat.

Mais comment y parvenir de manière efficace et…impartiale ? La difficulté de ces marchandages ou techniques fastidieuses amène à affirmer qu’ouvrir le marché commun de l’emploi au président de la République conduirait à une application complexe de l’égalité républicaine, car celle-ci deviendrait un principe « à géométrie variable ». Ce que ne peut, en l’occurrence, tolérer ni promouvoir la Constitution. Pour éviter cet écueil, le président de la République est, sous un angle, contraint de n’exercer qu’une seule fonction officielle ; ou, sous un autre prisme, soustrait aux préoccupations des métiers ordinaires, dont l’insuffisance de revenus oblige nombre de Citoyens à un cumul de fonctions.

Dans tous les cas, cette contrainte oblige le Chef de l’Etat à une exclusivité de tâche visant à garantir le respect du serment présidentiel.

 

c-Le contraindre à n’exercer qu’une seule fonction revient à garantir le respect du serment présidentiel

L’obligation faite au président de la République pour exercer à titre exclusif ses charges obéit tout autant au respect du serment qu’il prête, de manière solennelle, la main gauche posée sur la Constitution, le jour de son entrée en fonction qu’à la prévention de tout abus inhérent à cette fonction.

 

 

Les termes de ce serment comportent, en eux-mêmes, le cadre juridique, politique et moral au respect duquel le président est tenu : « Je jure de consacrer toutes mes forces au bien du Peuple gabonais, en vue d’assurer son bien- être et de le préserver de tout dommage, de respecter et de défendre la Constitution et l’Etat de droit, de remplir consciencieusement les devoirs de ma charge et d’être juste envers tous. » Le Chef de l’Etat ne pourrait donc, au sens des Articles 14 et 12, assurer toutes ces missions s’il était autorisé à concourir, au même titre que son Peuple, dans des activités professionnelles distinctes « des devoirs de [sa] charge ».

 

Mais, justement, ce qui ne me satisfait pas dans cette justification de l’incompatibilité entre la fonction présidentielle et toute autre activité, c’est de ne pas assez comprendre le lien établi entre le fait d’exercer d’autres fonctions lucratives et l’obstacle au travail consciencieux qu’exige la charge suprême.

 

 

Indépendamment des questions d’immunité juridictionnelle, et donc d’une forme d’inégalité devant la Justice entre le PR et le « commun des mortels », invoquées plus haut. Des maladies chroniques comme l’ennui et la corruption peuvent très bien entamer les devoirs du serment présidentiel, que l’exercice d’activités lucratives parallèles à la fonction républicaine. Aussi, cet argument me paraît tout à fait spécieux et m’incite à revenir aux conséquences provoquées par le choc entre les intérêts individuels du Président et les Pouvoirs et Autorité dont il jouit à l’aune de la Constitution et des Traditions africaines relatives à la chefferie : la prévention de l’abus de pouvoir et d’autorité.

 

Les réserves émises à ce sujet sont d’ailleurs confortées par la dynamique du Gabon Emergent, qui exige une Présidence décomplexée et adaptée aux défis contemporains.

 

(2)-La dynamique du Gabon Emergent exige une Présidence décomplexée et adaptée aux défis contemporains.

L’adaptation des fonctions du premier dirigeant de l’Etat invite à un rappel préalable de la dynamique du Gabon Emergent (a), afin de mieux saisir les enjeux d’une Présidence prompte à embrasser tous les défis que nous impose un Monde en perpétuelle mutation. Seule cette perspective peut permettre d’en finir avec l’hypocrisie, un vice à la mode (b), pour rendre enfin transparent le patrimoine du plus haut dirigeant du pays (c).

 

a-L’Emergence est un dynamisme, l’Emergent un dynamique

Si l’Emergence n’était qu’un slogan consistant à mieux vendre l’image du Gabon à l’Extérieur, je comprendrais que la Constitution continue à soustraire le président de la République des activités directement productrices de devises et de revenus dans et pour le Pays.

 

 

Or, d’après le discours tenu par le Chef de l’Etat devant la diaspora gabonaise de France le 21 Novembre 2009 (Cf Africanostra, 1er.12.2009)*, il nous est apparu que l’Emergence est, tout au contraire, une dynamique de réformes incitant à la performance de tous les acteurs du développement économique et social, y compris du premier des serviteurs de la Nation qu’est le président de la République.Dans cette perspective, le mouvement de sortie des « eaux » et des « marrais » du sous-équipement, du sous-emploi et de la sous-production, se doit d’être décuplé par une Présidence décomplexée, assumant « publiquement » sa part individuelle dans la contribution collective au développement du Pays. Car la dynamique de l’Emergence va nécessairement de concert avec une adaptation constitutionnelle, et donc structurelle, de la Clef de voûte des institutions.

 

 

En somme, si l’Emergence implique un nouveau paradigme de dynamisme, l’Emergent ne peut qu’être un dynamique. Mais ce dynamisme et ce dynamique ne doivent plus être appréciés que des seuls experts du Gouvernement, du Droit constitutionnel et de la Politique. Les Citoyens doivent pouvoir « noter » le Souverain sur pièce et sur place. Le travail du Président de la République, en tant qu’acteur économique et social doit pouvoir être connu de la Nation.

 

Or, pour y parvenir, il faut, qu’en dehors de son mandat électif, dont chacun a une idée plus ou moins nette, ses secteurs d’intervention économique et sociale soient clairement identifiés. Car il y a comme une hypocrisie à faire jouer au Chef de l’Etat des rôles qui ne sont pas les siens et à lui soustraire l’essentiel de son action, au détriment d’une appréciation de sa fonction suprême à sa juste valeur par le corps des Citoyens.

 

b-En finir avec l’hypocrisie, un vice à la mode

L’hypocrisie, que dénonçait Molière, comme « un vice à la mode », continue à faire des ravages ; et l’un de ses champs de prolifération les plus fertiles reste l’idée que donne la Loi fondamentale au rôle du Chef de l’Etat. A force de réduire sa fonction à des symboles, l’inconscient collectif finit par croire que le travail du président de la République ne consiste qu’à savoir marcher sur le tapis rouge ; à planter des arbres pour la paix ; à signer des dossiers à lui transmis par ses collaborateurs ; à pouvoir manier les ciseaux pour couper des rubans en inaugurant les travaux finis ; à poser des « premières pierres », truelle en mains ; à autoriser l’usage de la Force publique ; à lire des discours à la Nation ; à organiser des fêtes ; à faire des voyages à travers le monde et à faire des « dons ».

 

Et, lorsqu’au détour d’un panégyrique dithyrambique, le discours bien inspiré d’un dirigeant local félicite et remercie le Chef de l’Etat pour la réalisation de quelques travaux, le Citoyen reste médusé car se demandant par quel tour de magie le Président en est-il arrivé-là, lui dont le rôle se limite à des touches symboliques ! Ce qui tend bien souvent à faire croire que le président de la République est un « sorcier » ou un prestidigitateur, alors qu’il n’en est rien.

 

Quid alors de ses missions en matière économique et sociale ? La réponse appartient aux experts. Mais Le commun des mortels (oui, il s’agit de nous !) en sait peu à ce sujet, donc de l’essentiel du travail du Président, tant en qualité d’opérateur économique privé, qu’au titre d’acteur public au développement. Le faisceau programmatique décliné par l’Exécutif dans le contexte de l’Emergence appelle donc à en finir avec cette hypocrisie sur le travail réel du Chef de l’Etat, à moins que ce ne soit un complot contre Le commun des mortels, que de dissimuler l’étendue réelle des missions du premier citoyen du Pays.

 

 

Le triptyque de Gabon Industriel, Gabon Vert et Gabon des Services, élixir d’un Etat de droit fondé sur un socle démocratique, exige d’adapter la plus éminente des institutions républicaines aux défis économiques et sociaux des Sociétés contemporaines ; surtout, lorsqu’il s’agit d’un pays en quête de développement.Lorsque la presse et les dirigeants se félicitent d’une aide aux sinistrés de Mangôndô (L’Union n°10 306 du 20/04/2010)* à hauteur de quelques milliards de francs cfa, dont 500 000 millions « sortis de la poche du Chef de l’Etat »*, l’hypocrisie est savamment entretenue sur le rôle d’acteur privé au bien-être social du Président. Car cet argent provient de son patrimoine propre, et donc des ses activités privées. Pourquoi et comment ne pas s’y intéresser ?

 

 

Dans la mesure où l’Article 14 de la Constitution interdit au PR l’exercice de toute autre fonction publique ou privée, ces millions payés « de sa poche » apportent-ils une valeur ajoutée à sa légitimité ? Ne sont-ils pas, tout au contraire, de nature à desservir son image, de par l’opacité que ce geste contribue à entretenir sur l’institution et la personne qui l’incarne ? Une question légitime de Citoyen !

 

L’hypocrisie est encore savamment entretenue, du fait que Le commun des mortels (encore lui ?) se souviendra toujours des activités antérieures du Chef de l’Etat, dans des situations où il aura d’abord été un homme d’affaires, un dirigeant d’entreprise publique ou privée, voire un actionnaire. En maintenant la prohibition de l’Article 14, la Constitution ne se trouverait-elle pas déconnectée de la réalité économique et sociale, dans la mesure où l’accession à la fonction suprême n’aura forcément pas gelé les mouvements créés précédemment dans le patrimoine du Président de la République ?

 

D’un autre côté, le maintien des prescrits négatifs de la Constitution ne contribue-t-il pas au discrédit de la fonction présidentielle en y jetant un soupçon d’enrichissement illicite, lorsque la suprême institution s’investit, de bonne foi et à titre privé, sur les leviers économiques et sociaux du pays ?

 

Je souhaiterais répondre à cette question en y consacrant un sous-titre dédié à la transparence du patrimoine du président de la République, comme conséquence logique de l’adaptation de cette institution à la dynamique de l’Emergence, essor de l’Etat de droit au Gabon.  

 

 

c-Rendre transparent le patrimoine du Chef de l’Etat

Le constituant gabonais a un choix cornélien à faire. Soit, il maintient les dispositions de l’Article 14 de la Constitution, excluant les fonctions extra-républicaines de la charge de président de la République; soit, il opère une révision qui laisse au Droit commun et à l’éthique républicaine le soin d’encadrer la fonction présidentielle, de son mandat électif aux confins des activités privées en matière économique et sociale.

 

Mais, l’une et l’autre de ces options peuvent trouver un modus vivendi en une révision constitutionnelle introduisant une disposition favorable à la transparence du patrimoine du Chef de l’Etat. Car la non incompatibilité entre ses différentes fonctions n’infèrerait qu’une possibilité et non une obligation, pour le Président, de s’investir officiellement dans les sphères économiques et sociales. Cela resterait une potentialité, dont ne doit, comme en l’état, être constitutionnellement privé le premier serviteur de la Nation.En faisant l’état de ses biens propres au moment où il accède à la Magistrature suprême, une évaluation de son patrimoine au terme de son mandat donnera une idée de son éventuel enrichissement sans cause.

 

Cette pratique ne devrait donc plus relever de la bonne volonté de l’individu accédant au Pouvoir. Mais plutôt, un principe établi par la Constitution qui, par la même occasion, déterminerait les émoluments du président du Gabon, comme aux Etats-Unis dont la Constitution prévoit que « [l]e président recevra pour ses services, à échéances fixes, une indemnité qui ne sera ni augmentée ni diminuée pendant la période pour laquelle il aura été élu, et il ne recevra pendant cette période aucun autre émolument des Etats-Unis, ni d’aucun des Etats » (Constitution du 17 Septembre 1787 : Article II, Section 1, § 7, in Les grandes démocraties, Textes présentés par Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, Armand Colin, Paris, 2005, p.10)*. On pourra toujours se recroqueviller derrière le puritanisme légendaire des fondateurs des Etats-Unis, mais le modèle ne reste pas moins pertinent et universalisable.

 

Le Sénégal constitue également un exemple à méditer, car la Constitution de cette République-sœur affirme clairement que « [l]e président de la République nouvellement élu fait une déclaration écrite de patrimoine déposée au Conseil constitutionnel qui la rend publique » (Article 37, in fine)*. Toute norme qui, en Amériques comme en Afrique, favorise l’encadrement du mandat du président de la République et la circonscription de ses fonctions aux tâches strictement républicaines. Ainsi, devient-il plus aisé à la Constitution sénégalaise de prescrire l’incompatibilité entre la charge présidentielle et « l’appartenance à toute assemblée élective, Assemblée nationale ou assemblées locales, et avec l’exercice de toute autre fonction, publique ou privée, rémunérée » (Article 38, alinéa 1 de la Constitution de Janvier 2001)*.

 

 

Cependant, une exception vitale reste ouverte, comme une perspective vers le développement du pays. Car le président de la République du Sénégal « a la faculté d’exercer des fonctions dans un parti politique ou d’être membre d’académies dans un des domaines du savoir » (Article 38, alinéa 2)*. Exception d’autant plus vitale, que le savoir est un formidable marché, générateur d’industries diversifiées.

 

La suspicion des Etats d’Afrique à l’égard du chef de l’Etat est aussi une réalité en Côte d’Ivoire, qui constitutionnalise ce même principe en prescrivant que le candidat à l’élection présidentielle « doit déclarer son patrimoine et en justifier l’origine » (Article 35, in fine, Loi n° 2000-523 du 1er/08/2000 relative à la Constitution de Côte d’Ivoire (CCI), in http://www.la-constitution-en-afrique.org/article-21220503.html )*, avant de compléter ce dispositif par la clause d’incompatibilité qui fait l’objet du présent exposé : « Les fonctions de président de la République sont incompatibles avec l’exercice de tout mandat parlementaire, de tout emploi public, de toute activité professionnelle et de toute fonction de dirigeant de parti politique » (Article 54, CCI)*.

 

La Constitution congolaise va bien plus loin ; à en juger par les dispositions de son Article 73 :

 

« Durant leurs fonctions, le président de la République et les ministres ne peuvent par eux-mêmes ou par intermédiaire, rien acheter, ni rien prendre en bail qui appartienne au domaine de l’Etat.

Ils ne peuvent prendre part aux marchés publics et aux adjudications pour les administrations ou les institutions dans lesquelles l’Etat a des intérêts.

Ils perçoivent un traitement dont le montant est déterminé par voie réglementaire.Le président de la République occupe une résidentielle officielle »

 

La position gabonaise serait-elle certainement plus cohérente si elle adoptait, comme en Côte d’Ivoire et au Congo voisin ? Comparaison, dit-on, n’est pas forcément raison, et nulle Société ne peut se sustenter de l’expérience spécifique des autres. Toutefois, si le Constituant souhaite à conserver cette clause d’incompatibilité apparue avec la mode (et non le mode !) démocratique, les activités de leader politique devraient alors être exclues du champ des charges autorisées au président de la République, car rien ne prouve, par exemple, au Citoyen que la présidence du Parti démocratique gabonais (PDG) et le Califat général des Musulmans du Gabon ne sont pas des fonctions rémunérées !

 

Si l’incompatibilité constitutionnelle allait jusque-là, je la soutiendrais de toutes mes forces et comprendrais, en conséquence, que les attributs naguère exercés par le personnage d’Omar Bongo en tant que président fondateur du PDG et pionnier de la percée islamique dans le Pays, soient reconsidérés par la gouvernance plus transparente à laquelle nous invite le paradigme de Gabon Emergent. Mais s’il s’agit simplement d’exclure le chef de l’Etat de la sphère de l’entreprise, je reste dubitatif quant à l’efficacité et à la pertinence de l’Article 14 de la Constitution.

 

Les statistiques, probabilités et autres calculs logarithmiques ne sont certainement pas à la portée du commun des mortels pour circonscrire les contours du patrimoine du Président gabonais. Mais le Peuple se souviendra encore longtemps d’une opération des plus simples appelée soustraction, afin d’apprécier en fin de mandat si le reliquat des biens personnels du Chef de l’Etat correspond à la différence obtenue entre la valeur déclarée à la prestation de serment et le coût global des « dons » faits à Mouila, Makokou, Lambaréné, Boumango, Minvoul ou Ndangui ; puisque le « don » a ceci de particulier qu’il est précisément fait pour être porté à la connaissance du public.

 

Quelle est la raison directement liée à l’économique et au social, qui m’amène à suggérer la levée du verrou constitutionnel rendant incompatible la fonction présidentielle de l’exercice d’autres activités d’investissements publics et privés ? Prévenir les conséquences néfastes d’un « affairisme » clandestin, préjudiciable à l’économie nationale.

 

  (3)-Ouvrir le champ des investissements privés au Chef de l’Etat est une prévention contre les écueils d’un « affairisme » souterrain, préjudiciable à l’économie nationale

Nombre de Constitutions et de législations interdisent le Chef de l’Etat à œuvrer ouvertement dans les sphères économiques et sociales privées, alors qu’il n’est plus un secret que la plupart de nos dirigeants s’adonnent à cœur joie dans le commerce, l’artisanat, la spéculation et l’industrie. Le cas du Gabon est suffisamment illustratif de cette situation et de cette inaptitude de la Constitution à se saisir de la réalité, qu’il ne me paraît plus pertinent de me perdre en exemples. Si Léon M’Ba était « forestier », on retiendra d’Omar Bongo un appétit boulimique pour la rente pétrolière. Jusqu’à quel affront d’origine étrangère (procès iniques contre la plus haute Autorité de l’Etat), jusqu’à quel opprobre (propos diffamatoires contre nos dirigeants), jusqu'à quel degré d’appauvrissement (catastrophe de l’indice de développement humain) faut-il s’élever pour prendre enfin conscience des effets néfastes de l’économie souterraine sur la croissance des Etats africains ? C’est au regard de ces préoccupations, qu’en proposant d’ouvrir le champ des investissements privés au président de la République, je pense singulièrement à la lutte contre l’évasion fiscale (a) et à la limitation de la fuite des capitaux (b). 

 

 a-Lutter contre l’évasion fiscale

Quand l’on considère le manque à gagner accusé par le budget du Gabon en termes de recettes fiscales, je suis persuadé qu’on arriverait presque à équilibrer, tout au moins virtuellement, le déficit et à réduire sensiblement la dette du Pays. En considérant simplement les sommes constituant les comptes extérieurs mis à nu par la justice française, on peut se faire une certaine idée des flux qui échappent au Trésor public du Gabon et dont l’évasion déshydrate tout autant l’économie nationale.

Or, ouvrir le droit, pour le président de la République à s’investir dans les domaines économiques privés pourrait réduire de manière substantielle l’évanouissement du produit de ce type d’activité vers des paradis fiscaux et d’autres pays où la législation ne retient que le patrimoine du client et non sa fonction. Ceci se comprend aisément, car nulle loi, nulle Constitution n’empêchera une personne habitée par le feu sacré de l’investissement privé à exprimer ses compétence et talent en la matière, qu’elle soit Citoyen lambda ou président de la République. Faut-il, sous couleur d'ascétisme constitutionnel, laisser à d’autres pays ou coins perdus de la planète jouir paresseusement des investissements informels de nos chefs d’Etat, alors que nos économies en ont tant besoin pour s’épanouir ?

 

 

Ma réponse est, résolument, négative car si j’avais à choisir entre le gel des biens privés du Président investis à l’étranger et la révision de la Constitution pour l’adapter à l’évolution des Sociétés, j’opterais pour l’aménagement de la Loi fondamentale.Le préjudice causé à l’économie nationale par ces « évadés fiscaux » que sont les dirigeants gabonais est tout aussi perceptible en matière de fuite des capitaux, dont il importe de limiter également les méfaits par une reconsidération de la fonction présidentielle.  

 

b-Limiter la fuite des capitaux

Si nombre de Chefs d’Etat africains sont des « affairistes », il y a lieu de signaler qu’il s’agit d’un « affairisme » souterrain, car échappant aux circuits officiels d’enregistrement au registre du commerce, aux administrations de collecte des impôts et d’organisme de gestion du marché de l’emploi. En raison de leurs activités condamnées à être illicites, les Chefs d’Etat investis dans les secteurs productifs de richesse thésaurisent, soustraient leurs fonds des banques nationales et contribuent, malgré eux, à l’inflation des prix, au blanchiment de fonds et à la dépréciation de la monnaie en cours. Car leurs richesses tombent, du fait des prohibitions constitutionnelles et législatives, sous le coup de l’économie criminelle et ils s’emploient, en conséquence, à les dissimuler du mieux qu’ils peuvent à travers des sociétés-écrans et des prête-noms.

Des Etats pauvres doivent-ils continuer à admirer les investissements immobiliers de leurs dirigeants à l’étranger, sans prendre une décision vigoureuse quant à la facilitation institutionnelle de ces activités contraintes à la clandestinité ? Là aussi, je serais tenté d’y répondre par l’affirmative. La fuite des capitaux est due, en bonne partie, à l’incompatibilité instaurée entre la fonction de gouvernant et les activités économiques, pourtant pourvoyeuses directes et palpables de prospérité et de développement.

Ouvrir le droit d’intervention privée du président de la République dans le champ économique et social, adapter la Constitution à un contexte d’Emergence, décomplexer la fonction présidentielle, sont des propositions qui montrent combien est urgente et envisageable la redynamisation des missions contemporaines de la première institution de l’Etat. Le débat sur l’inscription officielle de cette possibilité dans le texte constitutionnel me semble inévitable, au regard des défis que le Gabon a embrassés avec l’accession au pouvoir de M. Ali Bongo Ondimba.  

 

 

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Le débat sur l’officialisation des fonctions privées du Président aura lieu

Pourquoi la Constitution gabonaise établit-elle, à partir de 1991, une incompatibilité entre la fonction suprême et d’autres activités professionnelles à caractère public et privé ? Ce principe relève-t-il des pouvoirs ou, plutôt, des devoirs du président de la République ? En limitant la marge de manœuvre du chef de l’Etat, l’Article 14 n’inhiberait-il pas autant le dynamisme de la personne physique qui en assure la charge dans les domaines si vitaux de l’investissement public et privé ?

 

Et, si tel devait être le cas, le Gabon ne perdrait-il pas une immense source d’énergie, essentielle à son développement économique et social en se passant volontairement des compétences et talents, des savoirs et savoirs-faire d’un acteur dont le handicap, le seul handicap est d’avoir été élu Président : personnage qui, au demeurant, souffre de l’injuste présomption de n’avoir besoin de nul autre champ de travail pour contribuer au rayonnement de son pays qu’un austère bureau au bord de mer?

 

Telle est la préoccupation à laquelle j’ai tenté de répondre dans le présent exposé, afin de préparer l’opinion et de sensibiliser le constituant sur les perspectives d’un débat constitutionnel qui paraît inévitable : aménager un cadre institutionnel adapté à la densité des projets et aux ambitions du Gabon Emergent.

En exorcisant l’institution présidentielle, en désincarcérant des encastrements symboliques attachés à sa fonction le rôle que le chef de l’Etat est réellement capable d’accomplir aux fins de développement économique et social, la prospérité du Pays ne serait que plus probable. Car un Etat en voie de développement ne peut se payer le luxe de cultiver le mythe d’un président de la République institué pour la signature des dossiers et la promulgation des lois ; l’inauguration des édifices et les messages à la Nation ; l’accueil des invités d’honneur et les visites-surprises aux nécessiteux !

Le chef d’un Etat sous-équipé, sous-industrialisé, sous-alimenté ne peut pas être expert des réactions aux calamités naturelles, car on en viendrait presque à croire que la personne qui en assume la fonction se nourrit de la détresse du Peuple et des catastrophes auxquelles sont exposées les populations. Qui peut, même avec la meilleure des mauvaises fois du monde, croire en un tel détournement de la fonction présidentielle vers des missions strictement humanitaires ?

Le président de la République de l’Emergence est, tout au contraire, le « Fer de lance » de l’essor économique et social de la Collectivité. Il reste à lui conférer le statut constitutionnel qui sied à cette ultime mission ou, tout au moins, à ne pas lui prohiber le pouvoir de s’y investir, concomitamment à son mandat. La République ne devrait avoir, non pas un chef, mais un maçon capable de poser les fondations de l’édifice public, gage de l’autorité des institutions et du Pouvoir de l’Etat. En effet, pour emprunter une observation d’Albert de CHANTELAUZE ( Du Président de la République française, Chez les principaux libraires, Paris, 1848, p.7)*, à propos de la France :

 

« L’intérêt de la république n’est pas d’affaiblir le pouvoir ; mais c’est l’intérêt de ses adversaires, afin qu’il soit impuissant contre le désordre, que l’agitation continue ou se renouvelle, que la confiance ne puisse se rétablir, le commerce se relever, la société se rasseoir, et que la république soit incapable d’inspirer la sécurité et de gouverner [le Gabon] ».

 

 

     Arthur BENGA NDJEME :

Nancy, le 04 Juin de l’AN 10, 05h 00