Pourquoi notre fruit ne mûrit-il pas ?
La mort du père d’un ami, notre Père,
Me ramène à Rainer Maria Rilke,
Poête de la mort brutale; parce que
Ce frère fait du destin un faux compère.
La mort ! ce fruit qui gît en chacun de nous,
Au centre de nous, attend d’être mâture !
Mais l’homme est souvent jeté en pâture,
Et notre fruit ne grandit pas jusqu’au bout!
Bien au contraire, il verdit, il durcit;
Il est chargé de ce jus amère et aigre
Qui donne à l’homme une âme veule et maigre!
Bien au contraire, nos vies sont en sursis!
Dans ces grandes villes devenues des tombeaux
A ciel ouvert, sont ensevelies "entre
Des murs, comme dans un linceul, des vies qui n’ont
Pas vécu"*, moulues, étouffées dès le ventre !
Des vies réduites en coupons, en lambeaux,
En numéros, soit par des infirmières,
Soit lors de l’onéreuse mise en bière ;
Des vies confondues au décor des avortons !
Entre « la petite mort »*, que nous impose
La pauvreté, et la « grande mort que chacun
Porte en soi »* et que notre vie nous propose
Sans remboursement et sans acompte aucun,
La mort pend au cou de l’homme comme un grelot !
Elle en fait le « lépreux hideux »* qui dérange.
Frappant l’homme tel une tête de pilot,
La mort précoce est injuste et étrange !
Où est donc ce fruit, qui relie le fémur
A l’occiput, au cœur et aux métatarses ;
Et quelles sont ces petites morts éparses ?
Où est notre belle mort, notre fruit mûr ?
Arthur BENGA NDJEME : Paris, le 1er/02/2010, 12h04
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*Rainer Maria RILKE, Le Livre de la Pauvreté et de la Mort, Traduction d’Arthur Adamov, Actes Sud, 1982.