VEF Blog

Titre du blog : La Nation
Auteur : africanostra
Date de création : 13-11-2009
 
posté le 28-01-2010 à 00:03:49

HAITI. LA "RESPONSABILITE DE PROTEGER" A L'EPREUVE [suite et fin]

Aïe-Ti ! UNE EPREUVE POUR LA RESPONSABILITE INTERNATIONALE DE PROTEGER

 

(suite)

 

 

 

 

(B)-Les fondamentaux de la Responsabilité de protéger.

Pour mieux comprendre les fondamentaux de la Responsabilité de protéger, il est utile d’en rappeler les origines. En effet, la Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des Etats (CIISE), coprésidée par M. G. Evans et le diplomate algérien Mohamed Sahnoun, expose très clairement les principes, les bases légales et les articulations de la Responsabilité internationale de protéger (Sommaire, XI).

 

 

1-Principes.-Il est précisé dès l’abord, que cette forme de Responsabilité est un principe inhérent à la souveraineté des Etats, à qui incombe juridiquement l’obligation d’assurer la protection de leurs population et territoire. Or, en vertu et à cause de la souveraineté, l’affaiblissement, l’effondrement voire l’incapacité du Gouvernement à assumer sa Responsabilité en cas de catastrophes humaines et/ou naturelles, obligent les autres membres de la Société internationale (Etats et Organisations) à l’assister ou même le suppléer, avec la conséquence inéluctable qu’est la dérogation au principe de non-intervention. Une telle appréhension appelle à s'interroger sur les fondements de ce type de solidarité internationale.

 

 

 

2-Bases juridiques et politiques.-Pour arriver à dégager ou revendiquer une telle force, la Responsabilité de protéger puise sa légalité dans la Charte des Nations Unies, dont l’Article 24-1 attribue au Conseil de sécurité la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales. D’un autre côté, elle se fonde sur les engagements internationaux conclus en matière de Droits humains, de protection des populations civiles et de droit humanitaire. Enfin, la pratique internationale et les corpus normatifs étatiques servent aussi de fondements à ce type particulier de solidarité, qui devient ainsi le « principe directeur de la communauté internationale des Etats ».

 

 

La situation chaotique que vit Haïti invite à en rappeler pertinemment les différentes articulations.

 

 

 

3-Articulations de la Responsabilité de protéger.-Bien que ce principe soit malencontreusement parvenu à être polarisé sur l’aspect militaire, la Responsabilité de protéger (RDP) est, comme chacun le sait, composée d’un triptyque fort bien équilibré :

 

 

*La responsabilité de prévenir ;

 

*La responsabilité de réagir et

 

*La responsabilité de reconstruire.

 

 

Ces trois composantes constituent, à travers les dynamiques du Chapitre VII de la Charte, les pierres angulaires de la conceptualisation du principe de Responsabilité de protéger.

 

 

 

(C)-Le processus de conceptualisation

La conceptualisation d’un nouveau principe de solidarité internationale, fondée sur le fait d’être responsable d’autrui pose, bien évidemment, d’importantes difficultés résultant de l’aptitude à définir un concept émergent ou, pour reprendre une expression chère à André Dumoulin, un « préconcept » (DUMOULIN André : « La sémantique de la ‘’stratégie’’ européenne de sécurité. Ligne de forces et lectures idéologiques d’un préconcept », A.F.R.I., 2005, Vol. 6, page 632 à 646)*.

 

1-Etre responsable d’autrui.-La religion s’est imposée comme réceptacle de la notion de responsabilité. En effet, la Bible « commence » (Genèse, 4 :9)* par fixer le point nodal de la Loi divine, qui obligerait chacun à être responsable des autres, à travers le fratricide bien connu de Caïn sur Abel. Aussi, à la question cruciale du meurtrier : « Suis-je le gardien de mon frère ? », le bannissement de l’intéressé des terres fertiles d’Eden (Genèse 4 :11-16)* y répond par l’affirmative.

 

 

Autrement dit, la Sagesse de Dieu tient l’Homme « gardien », « veilleur » ou, précisément, Responsable de ses semblables (COOMARASWAMY Ananda Kentish, Suis-je le gardien de mon frère ?, Traduction Jean Plantin, Bernard Dubant, Editions Pardès, 1997, 159 p.)*.

 

 

Plus près de nous, dans une Amérique hantée par les vieux démons de la division, de l’individualisme, du repli identitaire et de l’exclusion, B. H. Obama, alors candidat démocrate à l’élection présidentielle répond de façon positive à la tragique question de Caïn dans un discours intitulé : l’audace d’espérer. « C’est une conviction fondamentale : je suis le gardien de mon frère, je suis le gardien de ma sœur » (in Alain Chardonnens, Barack Obama. La nouvelle promesse de l’Amérique, Buchet/Chastel, Collection « au fait », 2009, p.18)*.

 

Par-delà l’adhésion, sinon unanime, mais tout au moins majoritaire des opinions et des Nations au principe suivant lequel les capables, les plus favorisés et les mieux équipés devraient répondre des nécessiteux et moins nantis, la question se pose toujours quant à la définition du concept de Responsabilité de protéger.

 

 

 2-Comment définir un concept émergent ?- La Charte des Nations Unies, est, pour reprendre un terme employé par sa devancière, la Société des Nations (SDN), un « pacte social » conclu entre des sujets souverains tenus par une obligation de solidarité les uns envers les autres, car présumés responsables. Ainsi, le concept de Responsabilité internationale de protéger invoque-t-il, non pas une redéfinition du terme « responsabilité », mais plutôt une refondation de la notion et du principe de souveraineté, afin de transhumer « d’une souveraineté de contrôle à une souveraineté de responsabilité (…) » (Rapport CIISE, §2.14), tant au regard des obligations nationales qu’internationales des Etats membres de l’ONU.

 

Une abondante doctrine (Société française pour le droit international, Colloque de Nanterre, 7,8,9 Juin 2007)*, malgré le défaut d’effectivité juridique de ce principe, ne manque pas de se répandre en théories, définitions et accusations de tartuferie (Laurence BOISSON DE CHAZOURNES, et Luigi CONDORELLI, « De la « responsabilité de protéger », ou d’une nouvelle parure pour une notion déjà bien établie », RGDIP 2006, Tome 110/2, pp. 11 et s )*, face à un concept qui évoque quelques théories et valeurs de Droit international dûment reconnues (intervention d’humanité, intervention humanitaire).

 

En ce qui concerne l’esquisse de définition qu’en donne la Commission, on doit rappeler qu’à la lumière du triptyque : prévention, réaction, construction en faveur des civils touchés ou menacés par une catastrophe, la Responsabilité internationale de protéger est un principe qui « consiste, en substance, à fournir protection et aide à des populations en péril » (Rapport CIISE, §2.32). La Commission internationale parle d’ailleurs de la Responsabilité de protéger comme d’« un concept-lien », bâtisseur de ponts susceptibles d’autoriser une dérogation normative ou opératoire à la prohibition de l’intervention dans les Relations internationales ; d’autant plus que la souveraineté des Etats dont il est question est, elle-même, en lambeaux et nécessite d’être urgemment rétablie.

 

Hormis la position de la Commission internationale, qu’en pensent précisément les Nations Unies ?

 

Si on se réfère, à ce propos, à la résolution 63/308 de l'Assemblée générale en date du 7 Octobre 2009, celle-ci décide de poursuivre l'examen de la question de la R2P, en renvoyant aux actes et activités antérieurs pertinents de l'Organisation universelle. Il en est notamment ainsi du Document final du Sommet mondial de 2005 (A/RES/60/1, 24 Octobre 2005).

 

Bien qu’il est spécifiquement traité de la Responsabilité de protéger des populations menacées ou victimes de crime de génocide, de crimes de guerre et contre l'humanité puis du nettoyage ethnique, il n’est pas souligné l’implication de « la communauté internationale » par un système d’alerte rapide (parag.138) et même l’usage de la contrainte militaire via le Conseil de sécurité en cas de faillite des solutions pacifiques (parag.139). 

 

A propos de ce dernier, il est utile de noter que la résolution n° S/RES/1674 (2006) sur le sort des civils en temps de guerre réaffirme le Document final précité en ses paragraphes 138 et 139. Tandis que la résolution n° S/RES/1706 (2006) sur le Darfour en réitère l’esprit.

 

On peut néanmoins se demander, pour les spécialistes, si à peine activée et en l’absence de positivité, la Responsabilité de protéger frapperait-elle déjà à la porte du cercle fermé et controversé des normes impératives de Droit international (ius cogens) invoquées par l’article 53 de la Convention de Genève de Mai 1969 sur le droit des traités (Sabine Gagnier, « La responsabilité de protéger au regard de la santé et de la culture », Revue Aspects, n°2-2008, pp.111-125)*. Toutefois, pour revenir au positionnement de l’ONU, on peut noter comme autre moment important, le rapport du Secrétaire général du 12 Janvier 2009 sur la mise en œuvre de la R2P (A/63/677).

 

Ce rapport résume en trois piliers, l’esquisse de stratégie adoptée précisément par les Etats membres au Sommet mondial. Il s’agit de la reconnaissance des responsabilités de l’Etat en matière de protection (section II), de l’assistance internationale et du renforcement de leurs capacités (section III) puis de la réaction déterminée de la Communauté internationale en temps voulu (section IV). 

 

Enfin, la dernière activité mise au crédit directe des Nations Unies, est le débat organisé par le Président de l’Assemblée générale, et auquel nombre d’Etats ont largement pris part en émettant des propositions fort constructives (Documentation officielle : A/63/PV.96 à 101).

 

Mais les propositions assumées par les Etats ne sauraient véritablement constituer la position officielle des Nations Unies quant à la définition de la R2P. En d’autres termes, cette définition, qui favoriserait certainement une formalisation de ce principe par la doctrine et un début d’opérationnalité, fait encore défaut.

 

 

***

Comme le préconise le Groupe ad hoc du CES, Haïti en appelle à « une approche constructive » ayant en ligne de mire la restauration des institutions étatiques et l’adaptation de la présence internationale, de manière à établir, de manière efficace, une répartition des compétences et des responsabilités caractéristique d’une démocratie vivante et d’un pouvoir effectif (rapport E/2009/105, Op. cit., parag.20, in fine)*. 

 

Les négociations qui s’ouvrent le 25 Janvier sur la reconstruction d’Haïti en Amérique du Nord doivent (à l’indicatif et pas au conditionnel !) donc respecter les composantes essentielles de la R2P, que sont la responsabilité de prévenir et la responsabilité de  reconstruire de façon durable un pays sinistré de toute part. Il n’est plus question d’appliquer à Haïti, des solutions qui ressemblent fort bien à des cataplasmes sur une jambe de bois.

 

Ce n’est qu’en ce sens et à ce titre, que les mots Humanité et Civilisation prendront tout leur sens et porteront avec dignité l’empreinte de l’Etre humain. 

 

 

Conclusion

 

En considération des assauts extérieurs, qui ont fondamentalement contribué à sa misère, Haïti mérite que soit reconnue à son Peuple, la mise en œuvre de tous les effets de la Responsabilité internationale de protéger.

 

En l’espèce, ce principe devra être fondé, non essentiellement sur l’exigence de solidarité à l’égard des souverainetés en panne, mais aussi et surtout sur l’obligation de réparer un, voire des torts que l’ONU et ses Etats membres ont, en amont causé (s) par action ou distraction ; par abstention ou pusillanimité contre un pays qui frémit depuis une soixantaine d’années au bord du gouffre. Car en dehors de l’aptitude des Etats à assumer leurs devoirs vis-à-vis des populations vivant sous leur juridiction, cette notion de responsabilité doit nécessairement s’accompagner d’une obligation de prudence et de prévention au regard des facteurs de chaos dont la probabilité est clairement attestée.

 

Or, Haïti et – comble de l’ironie ! – les Nations Unies elles-mêmes, n’ont nullement bénéficié de la vigilance de la présence internationale, qui y est installée depuis la restauration du régime de Jean-Bertrand Aristide. Le présent sujet faisant partie des quatre (4) thématiques choisies pour le cycle des Conférences de l’association Afrique Multiculturelle en 2010 à Nancy, on se contentera de noter, en l’état, l’illisibilité de la R2P au bénéfice d’Haïti. D’où l’aiguillon nécessaire que peut constituer la mobilisation de l’opinion publique internationale.

 

Mais en attendant l'approfondissement ultérieur des réflexions suscitées par le violent séisme de janvier, il importe de constater la faillite du i tréma dans cette partie du monde : Caraïbes, Gonaïves, Haïti!

 

 

 Arthur BENGA NDJEME : Nancy, le 16 Janvier 2010, 22h49