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Titre du blog : La Nation
Auteur : africanostra
Date de création : 13-11-2009
 
posté le 04-12-2009 à 16:41:30

IDENTITE NATIONALE. La société multiculturelle à la croisée des chemins

Qui suis-je ? 

 

 

 

Je me nomme Arthur Serge Benga Ndjémé,

Né le mercredi quinze mars soixante-douze ;

A neuf heures, entre une paire de blouses,

J’ai été expulsé comme un vrai mâle aimé !

 

Quelques jours après la fin du cycle du Verseau,

Au lendemain d’une longue trêve hivernale,

Je fus projeté dans cette vie infernale

Et livré à moi-même dans un vieux berceau !

 

Je descends, de par mon père, de Nganga-Douma ;

L’homme de Batouala, chaîne de montagnes

De fer naguère peuplées de tisseurs de pagnes ;

Par ma mère, je viens du Chef Ekazama.

 

Je suis un Kota né au quai de l’Ivindo ;

Les premiers pleurs pleins de rêves, de promesses

Et d’espoirs mais aussi de doutes et d’angoisses,

J’en ris parfois derrière mes verres Indo.

 

Aîné d’une famille gabonaise pauvre

De douze enfants ; élevé au poisson fumé,

A la viande boucanée, au riz parfumé ;

J’ai touché à l’alcool mais jamais au chanvre.

 

Serais-je quelqu’un d’autre si je rêvais d’argent ?

Serais-je moi-même en m’adonnant à la pêche

Ou en faisant pleurer l’herminette et la bêche ?

Pourquoi ne serais-je donc pas Docteur ou Sergent ?

 

La forêt où je naquis est l’immense poumon

Recyclant les gaz toxiques émis en France ;

Pourquoi n’irais-je pas y noyer ma souffrance

Dans un pot-au-feu et une salade au saumon ?

 

Qui suis-je donc dans ce monde de vanité,

Ô mon Dieu ! moi qui me nourris de blasphèmes ?

Qui suis-je face à la Mer, face à moi-même,

Face au rire sardonique de l’Eternité ?

 

Mon destin de fils du fleuve, de Kota errant,

D’Africain découpant dans le sable des grèves

Des robes fictives pour habiller ses rêves,

M’a ouvert les routes de Kaboul et Téhéran.

 

Ô souci ! toi qui m’étreins depuis le berceau

Et mines mes sentiers, sois ma sentinelle !

Et toi, misère ! tisanes de citronnelle,

Bouillies de manioc, roulements de cerceau !

 

Ma belle misère des concerts de gargouillis,

Donnés dans une étouffante moustiquaire

En sacs de farine, devenue reliquaire,

Je rêve de nos cajoleries dans les taillis !

 

Ô ma petite misère ! souliers bayant !

Je me souviens de nos longues promenades

Sur la corniche ; tels les éclats de grenades,

Les écarts de vos semelles étaient si bruyants !

 

Pauvreté, ô ma pauvreté ! élève mon cœur,

Mes mains et mon âme vers les Saints et les Anges !

Epargne-moi de ces éprouvantes vendanges

Où bohémiens et fruits mûrs chantent en chœur !

 

Ma pauvre pauvreté mise à nue par la mort

Alors que la vie t’a donné l’intelligence

De soustraire les richesses de l’indigence ;

Pauvre amie, chancelant entre regrets et remords !

 

Qui suis-je donc, moi, fils de chasseur, ô Seigneur !

L’âme emplie de mythes ; le cœur farci de rêves ?

Qui suis-je, moi, arbrisseau friand de sèves,

Descendant d’une lignée d’intrépides baigneurs ?

 

Non, je ne suis pas tombé fortuitement

D’ailleurs ; rescapé d’un essaim de termites

Ou fragment d’une frivole météorite

Cabotant au gré des caprices du firmament !

 

Je ne suis pas un immigré, un étranger,

Un courant d’air salin saturé de misère ;

Je suis semblable à l’ouvrier de l’Isère,

Debout dès l’aurore pour gagner de quoi manger.

 

Je ne suis pas un clandestin dans un sipi,

Pris après avoir franchi les mers et les fleuves ;

Je suis pareil aux gens qui bravent épreuves

Et périls sur le Gange et le Mississipi.

 

Je dois être courtois, heureux et quelquefois fou ;

Tantôt sérieux, tantôt badin face aux normes,

Aux pactes, à tout acte de fond et de forme ;

Je dois être humain comme lui, eux et vous.

 

Je veux être fortuné, heureux et respecté

Comme tel autre venu avec, à la bouche,

Une cuillère d’or : le citoyen de souche !

Jamais suspecté, affecté ; jamais inspecté !

 

Je peux être doux, nerveux, attentif à la Loi ;

Mais aussi effronté, capricieux, atone

Comme pourrait l’être toute autre personne ;

Je suis libre, digne, amoureux, comme toi !

 

Délavées par des siècles de travaux forcés

Et le macabre inventaire des haies de squelettes

De mes ancêtres écrasés sous des palettes

De sel au Congo, mes mains sont partout défoncées !

 

Ma tête, ô Seigneur, ma bonne tête jouée

Par les détenteurs de capitaux, de richesses

Et de laboratoires ! ballotée sans cesse

Jusqu’aux rives du Rhin, où elle s’est échouée !

 

Mes pieds, ô mon Dieu, mes vigoureux pieds

Parcourent les forêts, les déserts, les montagnes

En quête d’espérance ! partis des campagnes

De Makokou où ils pourchassaient le gibier !

 

Qui suis-je, moi, Noir : rebut de l’Humanité

Ou Grand représentant d’une même famille

Qui, depuis la nuit des temps, s’éparpille ?

Oui, qui suis-je, ô monde d’inanité ?

 

Chasseur de rêves, d’espoir et de sagacité ;

Pêcheur de poissons, de fruits d’un nouveau fleuve,

J’ai, à travers les millénaires, fait la preuve

Que j’aspire, moi aussi, à la Félicité !

 

Je n’ai pas l’arme nucléaire mais un esprit

De fraternité, de pardon indestructible ;

Semeur de l’amour, ce fruit incorruptible

D’une Humanité qu’il faut défendre à tout prix !

 

Même si je chante à souhait dans la canopée,

Je ne suis ni perroquet, ni grand primate !

Je peux aussi manger caviar et tomate ;

Etre parfaitement lorrain et fils de Lopée !

 

Non ! je ne suis pas un primitif ; un gibbon

A tête noire, aux grands yeux, à mains blanches,

Qui fait vainement sa quête de branche en branche !

Je viens de ce pays riche qu’est le Gabon…

 

Je ne suis pas l’éclopé d’un bal d’étourneaux,

Enfumé par ces nuages noirs et acides

Qui voyagent clandestinement mais placides,

A partir de vos usines et de vos fourneaux !

 

Comme le crabe-violon qui chante :-Amen !

Lorsque la marée quitte enfin l’estuaire

De Libreville dans la zone portuaire,

Mes oreilles larguent leur bouchon de cérumen !

 

Tel un messager inconnu, sans identité,

Je n’ai pour unique bien que ma parole.

Arrivé en ce monde par une corole,

Je suis aussi un rameau de l’Immensité.

 

Qui suis-je, moi, insouciant éléphanteau

Déjà menacé par le commerce d’ivoire,

Au lieu de jouir des figues et des poires

Ou de profiter des bains de boue sur son manteau ?

 

Ô mon Dieu, qui suis-je, perle d’hévéa

Versant partout sa larme et sa sève amère

A partir d’une étrange glande mammaire

Active au sein des saules et des épicéas ?

 

Qui suis-je, être mouvant dans l’obscurité

Comme une veule et maladroite luciole,

Dont le feu de détresse s’éteint, s’étiole

Et le livre à une totale insécurité ?

 

Qui suis-je, Seigneur: voyageur accoutumé

Ou descendant des sagoutiers de montagne?

Expert de la voltige et des mâts de cocagne

Ou pâle flambeau de baobab et d'okoumé?

 

Dans les cabrioles des dauphins de Mayumba,

J'ai nagé à travers une nuée de bulles

Et lames de fond; la mer est un vestibule

Au pays de Bernard Bongo et de Léon Mba.

 

J’ai pagayé jusqu’en France grâce à mon stylo.

Mais dois-je à mon frère, citoyen de souche

L’asile comme je dois à ma sœur, la mouche,

Son rire quand je veillais les grains sous le silo ?

 

Compagnon de la misère, ami du souci,

Confident de la pauvreté, je suis l’Homme !

Je ne suis pas un numéro, un fantôme,

Une identité ! mais le Divin raccourci !

 

 Arthur BENGA NDJEME : Nancy, le 7.XI. 2009, 19h53

 

Commentaires

africanostra le 17-12-2009 à 15:23:27
Je te remercie, Charles;

C'est le coeur qui parle.
charlesen le 04-12-2009 à 21:45:56
J'aime beaucoup ce poème, si je peux l'appeler ainsi...Il atteint directement notre âme...Incroyable !