Suite des commentaires de S. WAGNER
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C'est au Quattrocento que naissent les premières dissections humaines avec pour corollaire
l'avènement du dessin scientifique. A terme, ces autopsies ont notamment permis aux peintres et aux
sculpteurs de maîtriser la dynamique des mouvements ou de repérer les articulations et les veines afin de les
reproduire le plus fidèlement possible dans leurs ouvrages. Léonard de Vinci fut l'un des premiers à
manifester de l'intérêt pour cette nouvelle discipline et à reproduire le résultat de ses observations sur de
multiples planches anatomiques. Il affirmait d'ailleurs dans son Traité de la peinture que « c'est chose
nécessaire au peintre de savoir l'anatomie des nerfs, os, muscles et tendons pour savoir dans les divers
mouvements et effets quel muscle ou nerf est la cause de tels mouvements et faire ceux-là apparents et
grossis ». En outre, les artistes éprouvent un intérêt de plus en plus vif pour la représentation naturaliste de la
forme humaine si bien que les études sont directement réalisées sur le motif. Sur le document 1, il apparaît
nettement que l'artiste connaissait fort bien les sciences anatomiques. Les formes corporelles sont d'une part
bien proportionnées et on peut aisément déceler les côtes, la colonne vertébrale, la musculature et les
omoplates. En outre, si l'on compare l'esquisse et les détails mis en exergue dans l'étude de nu, il s'avère que
le dessinateur a volontairement supprimé les muscles pectoraux ce qui rend l'apparence du personnage plutôt
androgyne. Michel-Ange fait justement partie de ces artistes qui ont sciemment modifié ou inventé des
muscles dans un but d'expressivité, comme par exemple dans son David sculpté entre 1501 et 1504. L'une
des extensions musculaires de la main droite est en effet totalement imaginaire, l'objectif étant de lui conférer
une massivité plus importante. Il se peut donc très bien que l'artiste ait supprimé les pectoraux, dans le
document 1, pour des raisons artistiques et pour donner à son personnage un aspect plus réaliste.
En examinant le document 2, l'ambiguïté sexuelle est quant à elle rapidement levée. Le terme
« LIBICA » dont la traduction française est « LIBYQUE » renvoie à l'un de ces personnages féminins de la
mythologie gréco-romaine : les sibylles. Celles-ci sont des femmes devineresses ou versées dans la
divination. Elles n'étaient à l'origine probablement que des prêtresses, célèbres pour leurs oracles. Ces
derniers sont d'origine judéo-héllenistique et chrétienne si bien que les sibylles sont venues à être considérées
comme des prophétesses du Christ, à l'égal de leurs homologues de l'Ancien Testament. L'association de
sibylles et de prophètes dans les peintures murales ou les fresques est courante sous la Renaissance et en
constitue l'une des principales sources iconographiques. Leurs paroles censées annoncer la venue du Messie
renforçaient la conviction humaniste selon laquelle la vérité chrétienne serait un jour révélée aux « Gentils ».
Outre l'inscription précisée sur le cartouche, différents détails du document 2 indiquent qu'il s'agit bien d'une
sibylle. Son drapé de style antique, ses cheveux tressés, sa blondeur – symbole de pureté et de sainteté en
iconographie religieuse – ainsi que l'immense livre déposé sur l'autel confirment son statut de prophétesse.
Les traits corporels sont ici volontairement adoucis, la musculature n'est plus aussi visible que dans le
document 1 même si le corps reste herculéen. Deux artistes ont représenté des sibylles sur des fresques :
Michel-Ange en peignant la voûte de la Chapelle Sixtine du Vatican à Rome vers 1511 et Raphaël en l'église
de Santa Maria Della Pace de Rome la même année. Cette dernière avait pour titre Les Sibylles recevant les
instructions des anges. En comparant chacune de ces fresques avec l’œuvre du document 2, il semblerait que
cette dernière ait été plutôt peinte par Michel-Ange de part l'attitude sculpturale, énergique et extrêmement
puissante du personnage. De plus, les mouvements de torsion des sibylles sont nettement plus atténués dans
la fresque de Raphaël que dans celle de Michel-Ange.
D'autres éléments confirment l'hypothèse que ce dernier soit l'auteur de l’œuvre du document 2. La
morphologie sculpturale de la sibylle libyenne laisse penser en effet que l'artiste concevait ses personnages
en trois dimensions tel un sculpteur. Si l'on examine les deux documents de près, on peut ainsi noter que
l'artiste ne raisonne pas en surface mais en volume. Aussi, les rehauts de blanc dégagés par la tonalité du
papier sur le document 1 évoquent les reflets de la lumière sur une statue de marbre. De surcroît, les plis du
drapé sur le document 2 ressemblent étonnamment à celui porté par la Vierge Marie dans la Piéta de Michel-
Ange réalisée en 1498. Pour le créer, l'artiste a dû sans doute s'inspirer des somptueuses études de draperie
de Léonard de Vinci qui datent de 1470-1480 dans lesquelles l'effet tridimensionnel est stupéfiant et confère
aux drapés un relief satiné et soyeux. De plus, les torsions extrêmes du corps de la Sibylle et son apparence
très robuste évoquent plusieurs statues hellénistiques comme Le Groupe du Laocoon et le Torse du
Belvédère. Ces deux chefs-d'œuvre ont grandement fasciné Michel-Ange. A ses yeux, la représentation du
corps humain n'avait de sens que si elle prenait en considération le mouvement, source de vie à travers lequel
transparaissent les passions de l'âme dont l'ampleur est proportionnelle aux mouvements qui animent les
personnages. La sibylle, positionnée dans un mouvement de rotation serpentine et de tension extrêmes,
demeure toutefois impassible comme si les émotions exprimaient un enchaînement pesant de l'âme au corps
identique à celui de la Piéta (1498-1499).
(à suivre)
Sandra WAGNER
Commentaires
bonjour,
félicitations pour la photo du jour.
Dommage, le noir sur le bleu, c'est difficile à lire.
Bon week end
Bisou
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