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Titre du blog : La Nation
Auteur : africanostra
Date de création : 13-11-2009
 
posté le 03-04-2011 à 00:59:30

La Libyenne et ses mystères (suite)

 

Commentaires de Sandra WAGNER
 

 

 

 

Le document 1 paraît tout à fait représentatif des techniques employées par les artistes italiens de la

Renaissance. La réalisation de ce dessin à la sanguine en est justement l'exemple le plus frappant puisque ce

n'est qu'à partir de la fin du Xvème siècle que ce matériau est utilisé couramment pour lui seul. La sanguine

est une argile de teinte rouge orangée voire brun violacé. Son association avec un papier à grain épais et riche

en suggestions tactiles permet de nombreux jeux d'ombres et de lumières. On peut observer ainsi dans le

document 1 sur le nu très abouti que la lumière provient de la gauche, laissant ainsi apparaître la vigueur

musculaire du personnage au niveau du bras, des omoplates et du dos de la partie gauche du corps. Ce clair-

obscur est accentué par les effets d'estompe que l'on peut clairement déceler sur les épaules ou l'avant-bras

gauche. Il s'en dégage une relation particulièrement charnelle, quasi érotique, entre le spectateur et la jeune

femme représentée. En effet celle-ci ressemble à ces sculptures antiques étonnamment réalistes comme si

l'artiste avait désiré imiter la nature en rappelant la continuité tactile d'un bas-relief. Ce travail très recherc

se retrouve notamment dans l'une des études de Michel-Ange réalisées pour la Chapelle Sixtine : La

Création d'Adam (1508-1512). Dans ce dessin, le clair-obscur procuré par la sanguine devient pour l'artiste

un effet d'optique dont l'objectif consiste à distinguer le caractère naturaliste du corps de son essence

artistique en rapport avec la vision néo-platonicienne du monde : à savoir que l'homme est avant tout une

créature faite à l'image de Dieu et qu'elle doit en ce sens se définir par la beauté suprême et divine sur la

Terre. Le corps n'est plus alors seulement une masse biologique, il devient aussi un idéal conceptuali. En

d'autres termes, le dessin devient un instrument au service de la beau divine.


Aussi, grâce à ses propriétés terreuses, la sanguine se prête à de longs tras fins ou épais selon les

besoins et peut ainsi servir à l'élaboration d'études partielles ou à l'exécution de croquis complets selon les

besoins de l'artiste. Ce dernier mémorise s lors des points de tension et diversifie les différents points de

vue en ajoutant ça et là des ombres plus ramassées ou plus layées sur certaines parties du corps afin

d'accentuer certains mouvements, effets de rotation et expressions d'un visage. On peut ainsi observer dans le

pli de la nuque et au niveau de la musculature de la partie droite du dos un renforcement des ombres. On note

également un étirement maximal des muscles de part et d'autre de la colonne vertébrale. La lumière éclaire la

face et la moitié gauche du corps et se reflète sur l'avant-bras droit, si bien que l'on devine une intense

rotation sur la gauche. Les deux tiers du dos sont en outre intentionnellement assombris et les contours

soulignent le modelé de l'ensemble des muscles. Dans un dessin à la sanguine de Michel-Ange intitulé La

Vierge à l'Enfant avec Saint Jean-Baptiste et probablement conçu vers 1503, la position de la Vierge est

étonnamment similaire à celle du personnage du document 2 ainsi que le drapé, le mouvement, les jeux

d'ombres et de lumières et l'apparence corporelle plutôt athlétique. Il est par conséquent fort probable que

l'artiste ait pu s'en inspirer. En revanche, le tracé du visage représenté sur l'esquisse inférieure gauche

demeure plus léger et plus souple et lui confère plus de douceur et de fémini. Cette expression tendre et

naturelle se retrouve dans Les études pour la Vierge du Duc d'Albe de Raphaël (1483-1520) réalisées vers

1509-1511 à la sanguine et à l'encre. La lumière semble provenir de la gauche comme dans le document 1.

Le clair-obscur est également obtenu par un enchevêtrement de traits horizontaux parallèles plus ou moins

resserrés au niveau de la joue droite du visage.

Ainsi l'usage de la sanguine peut être fort judicieux si l'artiste aspire à sophistiquer le modelé de son

personnage. Dans ce cas, il recourt à différents types de hachures qui, compte tenu de la teinte « chair » de la

sanguine et de sa consistance argileuse, donnent au corps un aspect morphologique plus naturel. Qu'elles

soient verticales, horizontales, curvilignes, en diagonale, resserrées, larges, espacées ou en parallèle, ces

stries octroient plus de relief et de vitali. Dans le document 1, on peut noter par exemple la présence de

traits tantôt épais, longs et horizontaux tantôt plus fins, courts et en diagonale au niveau des muscles sterno-

cléido-mastoïdiens, du poignet gauche, des trapèzes de l'épaule droite ainsi qu'à l'avant-bras droit. S'ajoute

également une alternance de traits verticaux au niveau des pommettes, de courbes dans le rendu volumique

des omoplates et des biceps et enfin de parallèles au niveau de la mâchoire, des cheveux et des muscles

fessiers. Le papier légèrement teinté favorise une association de dégradés très aériens qui mettent en

évidence les principales articulations des membres supérieurs et des mains. Instigateur du recours à la

sanguine, Léonard de Vinci l'emploie souvent pour échafauder un modelé détaillé dans certains de ses

portraits. Ainsi dans sa Tête d'homme âgé produite vers 1503, l'ajout de traits plus épais et de hachures

particulièrement prononcées au niveau des pommettes, des yeux et du cou renforcent la dureté du visage et

lui confèrent une remarquable rudesse. Cette perpétuelle recherche de vérité dans le travail du modelé a

inspiré de nombreux artistes tels Michel-Ange. Dans son Étude de nu au dessus de la Sibylle perse de la

Chapelle Sixtine (1510),il utilise un ensemble de hachures plutôt claires sur la face arrre du bras gauche

auxquelles s'ajoute un mélange de traits très resserrés sur les muscles dorsaux plus ou moins fondus grâce à

de multiples frottis réalisés avec les doigts. Michel-Ange a également souligné les effets de lumières grâce de

voluptueux dégradés de clair-obscur obtenus en fonçant davantage certaines parties du corps comme les

jambes, les genoux et les pieds. Ces effets se retrouvent pareillement dans le document 1 et la pose du

personnage est tout aussi audacieuse et énergique que dans l'étude de Michel-Ange citée ci-dessus. De

surcroît, le corps est doté d'une sensualité débordante en raison de l'ondoiement de la lumre. La technique

du chiaroscuro ou dégradé mêle en effet zones claires et sombres en créant des contrastes ts violents.

Chaque partie du modelé devient alors caresse et les formes prennent chair.

Par son rendu velouté et ses effets de lumières, la sanguine bouleverse littéralement les pratiques des

artistes et révolutionne la vision de la figure humaine. Dans une Italie bercée par la Renaissance, l'homme est

au cœur de tous les préceptes humanistes. Créé à l'image de Dieu, il domine non seulement la nature, mais il

est aussi doué d'intelligence et se doit de la perfectionner pour se rapprocher le plus possible de son Créateur.

Aussi, la redécouverte des statues antiques et des canons esthétiques gréco-romains a suscité une vive

curiosité pour la représentation du corps humain et du mouvement via l'anatomie.

 

 

(à suivre)

 

Sandra WAGNER