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Titre du blog : La Nation
Auteur : africanostra
Date de création : 13-11-2009
 
posté le 31-01-2011 à 08:05:51

GABON.Regard sur le gouvernement bis

 

 

Paroles libres
 
 

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Du gouvernement bis au Gabon et des réactions politiques locales : brèves remarques à propos de la dimension scénique de la guerre de succession des « frères siamois » du bongoïsme

 

L’intellectuel se doit toujours d’être du côté de la raison et de la vérité. Loin de toute psychanalyse de comptoir, il doit pouvoir s’honorer de son rôle d’« éclaireur de la société ».

 

 

La classe politique gabonaise est en émoi et le Secrétaire exécutif de l’Union nationale  (UN) André Mba Obame (AMO) est au bord d’un orgasme jubilatoire, débordé par une excitation qu’il n’avait plus ressentie depuis sa sortie dans les colonnes de L’Express où il évoquait le supposé « coup d’Etat » face à un pouvoir inaudible et en panne d’idées. Face à cet acte jugé anticonstitutionnel et odieux par certains, courageux et respectable par d’autres, dès lors que l’opposition y est incarnée, réellement incarnée, il est aisé pour des observateurs avisés de comprendre que le leader de l’UN est impatient.  En conséquence de quoi il pense à la prise du pouvoir par tous les moyens possibles. Il serait donc simpliste d’analyser ce conflit larvé entre deux faux-frères ennemis d’Etat en considérant qu’il s’agissait une fois de plus pour AMO de faire un buzz médiatique qui le confinerait à un « professionnel du ridicule ». Non, ce serait réduire l’interprétation aux ras de pâquerettes et passer à pieds joints sur l’essentiel, si l’on en juge ne serait-ce que par la composition du gouvernement constitué d’une élite intellectuelle non inscrite dans les schèmes de prévarication curiale. Sur cet aspect, il y a donc rupture dès lors qu’AMO essaie de montrer à l’opinion qu’il ne serait pas prisonnier d’un système qui l’obligerait à ramener ses anciens amis. Il veut incarner ainsi l’idée d’un président de la rénovation par opposition à son adversaire Ali Bongo Ondimba (ABO) qu’il veut qu’on perçoive comme un président de la conservation.

 

L’essentiel aussi est que l’opposant avisé qu’est AMO, présenté comme le « prince des ténèbres » par ses détracteurs, a usé de sa puissance doctorale et politique pour ouvrir à la sagacité intellectuelle les portails d’un débat sur le thème du « gouvernement insurrectionnel » comme antidote au « gouvernement perpétuel », réflexion concernant les terrains africains et accordant une forte attention à la République bananière gabonaise dans cet Etat de type bongoïste : syncrétisme politique, affairiste, militaro-incestueux et mystico-religieux qui fonctionne sans le moindre état d’âme.  Dans cette réflexion au confluent de la science politique et du droit, puisqu’il s’agit d’une mise en débat du serment présidentiel, autour des agendas cachés, le chercheur exigeant, doit considérer que l’analyse elle-même s’attaque à un sujet complexe, dès lors qu’il va falloir démêler le vrai du faux. Le songe du mensonge, le mal du bien.

 

La situation est grave non pas à cause de la menace sur la paix ou la stabilité mais parce qu’elle confine finalement la démocratie à une même arène d’évolution : le bongoïsme. Dans les faits, on peut penser que ce ne sont pas les institutions qui sont violées mais en réalité c’est la démocratie qui est confisquée, occasionnant par là-même, un noyautage du paysage politique (majorité et opposition) autour des porte-étendards de l’ancien courant des « rénovateurs » et fils (naturel et spirituel) de feu Omar Bongo Ondimba, que sont Ali Bongo Ondimba (ABO) avec son étreinte mortelle sur les libertés publiques, et André Mba Obame (AMO) avec son opiniâtre rêve de « messie » qui doit « conduire » l’homme libre et avisé que je suis vers les Lumières. Une vraie République à l’envers dont il faudra imaginer les moyens de la remettre à l’endroit.

 

Ma conviction est la suivante : ABO et AMO ne peuvent réclamer chacun en ce qui le concerne la légitimité de la direction du Gabon. Ils ont décidé j’en suis convaincu, de commun accord, de contrôler le pays, le prenant ainsi en otage, chacun assurant le contrôle d’un des deux bords : pouvoir et opposition. Pour comprendre tout cela, il est important de présenter ces « deux enfants gâtés de la République », leurs intentions réelles, afin de mieux cerner leurs conduites et leurs agendas cachés au-delà des mises en scène.

 

AMO, frère siamois d’ABO

 

Il dirige le Secrétariat exécutif du nouveau grand parti de l’opposition l’Union nationale (UN), et part en voyage à des milliers de kilomètres, notamment en France, mais au Gabon on ne parle que de lui, d’André Mba Obame, ses interventions et prises de position sur la gestion de l’Etat au Gabon font polémiques. Dans ce qu’il est convenu d’appeler les repas familiaux et dîners en ville qui viennent agrémenter le kongossa, il est à la une des journaux et débats qui tentent de le dévoiler sous toutes les coutures. Donc, il devient essentiel de se demander : AMO a-t-il le pouvoir de déstabiliser Ali Bongo Ondimba (ABO) pour accéder aux sommets de l’Etat ? En a-t-il seulement les moyens ?

 

Qu’on ne s’y trompe pas, on aura compris qu’il le veuille puisqu’il en a l’ambition. Pour la carrure, aucune certitude ne point à l’horizon, l’homme serait nonchalant, et même parfois décrit par ses « anciens camardes » comme l’homme des « coups tordus ». Qu’il attende 2016 pour se soumettre ensuite au petit jeu de la « mère des élections ». Quand on a les moyens on affute ses armes dans l’opposition et loin de tout agenda caché qui dissimulerait au fond une ambition de rapprochement avec le pouvoir qui gouverne. Devenir premier ministre c’est bien, mais être président c’est mieux si tel est l’agenda officiel d’AMO en espérant que l’avenir à mi-chemin ne nous réserve des surprises avec un modèle typique d’une cohabitation savamment bien orchestrée. Qu’il sente enfin le désir des Gabonais d’accepter que les « deux frères siamois du bongoïsme » se retrouvent aux commandes du pays, l’un déjà président ABO, et l’autre devenant finalement premier ministre, AMO, ce n’est pas acquis.

 

On glose, on esquisse, on imagine. Bref, on peut tout dire sauf qu’AMO ne pense pas à 2016. Je lui vois, personnellement, un handicap majeur : il ressemble trop à Ali Bongo Ondimba. C’est son frère, son clone, sa copie. L’un est l’héritier naturel de feu Omar Bongo Ondimba (OBO), et l’autre l’héritier spirituel de ce père qu’ils rêvent tous deux de « tuer » !

 

Comme l’actuel président, AMO incarne le Gabon d’en haut, qui s’est institué en oligarchie rentière et dont la seule morale pleine de bon sens de l’Etat est une vision patrimoniale du pouvoir. Il a le même côté narcissique, tant reproché à ABO, avec son goût immodéré pour le pouvoir et l’argent, et les basses manœuvres, ce qui brille (comme des métaux précieux) et ce qui flotte (comme des îles) !

 

Comme l’actuel président, AMO va de plus en plus incarner le mécanisme de la toile d’araignée présidentielle propre aux dispositifs de société de cour, à leurs imaginaires et imaginations. Ancien baron du régime Bongo, il a sa part de responsabilité avérée dans l’état de paupérisation que connaît le pays.

 

AMO a beaucoup de talent, même celui de pouvoir changer, mais, actuellement, il ne représente aucune rupture avec ABO. Ils sont interchangeables. C’est comme du « bonnet blanc » et du « blanc bonnet ». C’est une chance pour ABO et les rénovateurs.

 

AMO, et sa nouvelle posture comme obstacle à l’ACR de Pierre Mamboundou : un beau gâchis

 

En engageant ce bras de fer avec le pouvoir, AMO sait qu’il se pose en chef de l’opposition en même temps qu’il contrarie les chances d’une alternance apaisée dans son pays. Pour ma part, il est difficile de comprendre que les choses soient allées aussi très vite au Gabon sans calcul. Entre lundi et mercredi, André Mba Obame, candidat malheureux à l’élection présidentielle du 30 août 2009 et secrétaire exécutif de l’Union nationale (UN), formation politique créée au lendemain de cette défaite contestée, s’est souvenu comme par enchantement ou par un mimétisme qui ne sied pas qu’Ali Bongo Ondimba était un « imposteur » à la tête du pays. Il a donc prêté serment, nommé un Premier ministre et formé un gouvernement de 19 membres. Cet acte de défiance, à la hauteur de l’ambition et à la limite de la démesure, a conduit le Conseil national de la communication (CNC) à retirer, pour 3 mois, l’autorisation d’émettre à sa chaîne de télévision privée, TV+, qui avait diffusé la cérémonie de prestation de serment en direct.

 

Dans le même ordre de décisions, le ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation, Jean François Ndongou, a dissout son parti et levé son immunité parlementaire. Depuis lors, l’opposant, autoproclamé président, s’est alors réfugié dans les locaux du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), à Libreville. Il refuse, désormais, de quitter les lieux tant que le Secrétaire général des nations unies (ONU) Ban Ki-Moon n’aura pas répondu à sa demande de reconnaissance internationale comme chef de l’Etat « légitime ». Jeudi, quelques militants de l’UN ont bien tenté de faire entendre leur voix dans les rues de Libreville, mais l’armée les a rapidement dispersés.  

 

Nonobstant l’intervention des forces de l’ordre, il n’est pas acquis que « l’enfant barbare » du régime Bongo accepte de se laisser museler ou qu’à l’inverse ABO se laisse marcher sur les pieds. Le président de l’Union du peuple gabonais (UPG, opposition), Pierre Mamboundou, a mis fin à son silence en appelant le gouvernement gabonais à la retenue et à la responsabilité. L’acte posé par AMO n’étant que la conséquence de ce principe bien connu : « gouverner sans savoir, c’est tomber dans les pièges non seulement de l’ignorance mais aussi de la médiocrité ». Pour lui, « ce serait une erreur que de traiter cette situation en ne privilégiant que l’aspect répressif sans examiner les causes qui ont conduit certains compatriotes à poser des actes, peut-être contraires à l’esprit et à la lettre de la Constitution, mais que la situation du pays peut expliquer ». Le président de la Commission de l’Union africaine, Jean Ping, a encouragé les parties prenantes au conflit à privilégier le dialogue et la concertation, dans le respect scrupuleux de la légalité et du fonctionnement normal des institutions. Mais le « conflit » semble inévitable. Il est même, pointe de cynisme, souhaitable !

 

Le Secrétaire général du Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir), Faustin Boukoubi, évoque avec fanfaronnade un « homme retombé de très haut, retombé de l’ascension sociale, retombé du pouvoir ». Pour lui, « l’approche illusoire de M. Mba Obame, véritable épigone, consiste à penser et à faire croire qu’il est capable d’importer, aussi facilement et sans vergogne [au Gabon], des modèles de bicéphalisme politique grossièrement inspirés des régimes avilissants et dictatoriaux encore en vie dans le monde, mais combattus par la communauté internationale ». En un mot, son comportement politique relèverait d’une rodomontade.

 

Lors de sa fameuse prestation de serment du début de la semaine en effet, André Mba Obame avait, sans le dire implicitement, appelé ses compatriotes à un soulèvement populaire : « nous nous trouvons désormais dans la situation où le silence devient un péché lorsqu'il prend la place qui revient à la protestation. Et d'un homme, il fait alors un lâche. Ma responsabilité politique, mon amour pour Dieu et pour tous mes concitoyens, m’obligent à ne pas rester silencieux en ces temps si sombres et si difficiles que traverse notre pays ». Il avait invité toutes les communautés du pays à faire entendre leur voix, « car personne, Dieu compris, ne pourrait s’accommoder d’une imposture ». Il a rappelé que c’est aux communautés religieuses de montrer la voie vers la vérité, estimant que « le silence complice et coupable, ou l’indifférence dans la situation actuelle, seraient une forme d’allégeance au mal qui ronge » le Gabon.

 

En pleine crise post-électorale ivoirienne, nourrie par la révolution tunisienne et l’escalade de la violence dans les pays du Maghreb, la tentative de révolte au Gabon va, elle aussi, donner du grain à moudre à la communauté internationale et aux analystes politiques. Elle survient après des révélations dans l’émission infrarouge sur la chaîne de télévision France 2 de l’ex-conseiller Afrique de l’ancien président français, Jacques Chirac, Michel de Bonnecorse, qui voici quelques semaines avait affirmé que les résultats de la dernière présidentielle gabonaise avaient été inversés au détriment d’André Mba Obame. L’intéressé s’est certes repris par la suite, accusant une « erreur de montage », sans que France 2 ayant porté atteinte à l’honneur et à la considération du président gabonais ABO ni que ce dernier ne portent plainte en se constituant partie civile comme dans l’affaire des biens mal acquis où il a engagé Me Patrick Maisonneuve pour défendre l’Etat gabonais, mais ce revirement a davantage renforcé le malaise et accru la méfiance vis-à-vis des combines françafricaines.

 

Dans cette perspective, adoptant un raisonnement de type : « toute chose égale par ailleurs », ce qui est du reste normal pour dénoncer les travers d’un positionnement à géométrie variable (logique du deux poids, deux mesures), André Mba Obame peut s’estimer en droit de prendre la communauté internationale à témoin, et revendiquer un fauteuil que la majorité populaire lui a attribué à travers les urnes. Mais 17 mois après les faits, n’était-il pas temps de tourner la page pour préparer d’autres batailles, notamment les élections législatives annoncées ? Sinon pourquoi avait-il alors accepté de se porter candidat et de se faire élire comme député à l’Assemblée nationale au cours d’une élection partielle sachant bien en effet, qu’aucun président ne peut prétendre à un siège de député dans aucune Constitution ?

 

Et pourtant, après le coup de force électoral du clan Bongo, Mba Obame et d’autres figures emblématiques de l’opposition gabonaise s’étaient regroupés au sein d’une coalition des partis politiques pour l’alternance dont les observateurs s’accordent à reconnaître la grande assise populaire. Le « fils spirituel » d’Omar Bongo, qui connaît bien les arcanes du pouvoir et qui reste le « frère de l’Autre », d’Ali Bongo Ondimba, veut être aujourd’hui dans une position d’avant-poste. En s’assurant la tutelle de l’opposition, il sait qu’il s’assurera le porte-parolat de l’opposition, au point de faire converger toutes les dynamiques vers un représentant unique de cette famille politique. C’est une insulte à l’intelligence politique de l’opposition réelle gabonaise disposant d’une légitimité non usurpée grâce à une adhésion massive de la population qui souhaite plus que jamais la fin du bongoïsme -non pas d’un bongoïsme relooké- en place depuis un demi-siècle.

 

Je pense plutôt qu’AMO aurait gagné en crédibilité en soutenant l’opposition réelle (unité) qui détient déjà des cartes nécessaires pour faire le plein à l’Assemblée nationale au lendemain des législatives prévues cette année. Avec la démocratie représentative, c’est au Parlement qu’une opposition suffisamment outillée peut préparer et impulser l’alternance. Mais la nouvelle posture d’« AMO » ne peut que davantage gêner la lisibilité du jeu politique, et constituer, finalement, un beau gâchis, dès lors que brouiller la lecture du jeu constitue une ressource politique locale pour la pérennisation du pouvoir en place. De ce point de vue-là, la thèse du « gouvernement insurrectionnel » n’est pas un antidote au « gouvernement perpétuel », mais lui prépare au contraire le lit, et n’est donc pas tout à fait recommandable. Elle n’est ni crédible ni sérieuse et au demeurant relève d’une maladresse narcissique. Difficile donc pour moi de croire à une insurrection républicaine par simple effet d’expansion de la contagion territoriale de la « révolution tunisienne » ou de l’institutionnalisation opportune d’une double présidence circonstancielle à l’ivoirienne. Du reste, pour l’heure, rien n’est moins sûr. Toutefois, à l’image du « vent de l’Est » en Europe on s’interroge sur un possible « vent du Nord » en Afrique avec pour point de départ la « révolte de la Tunisie » et pour réceptacle l’Afrique subsaharienne si elle finissait par gagner par vagues successives toute la région. Mais, il y a en Afrique une variété de situations qui ne peut autoriser une grille de lecture fondée sur une sociologie de l’importation des modèles élaborés ailleurs, d’où l’intérêt d’éviter une anarchie des réactions qui pourrait davantage compliquer le dénouement pacifique du problème au Gabon.

 

La question essentielle, que révèle le « double serment » des héritiers de Bongo est peut-être ailleurs : et si finalement André Mba Obame et Ali Bongo Ondimba s’étaient, en réalité, malicieusement entendus pour monopoliser le jeu politique au Gabon après la mort de leur « créateur » : l’UN, dans l’opposition ; et l’Autre, au palais ?

 

 

 

Dr. Patrice Moundounga Mouity

 

Politologue et essayiste.

Intellectuel libre, Républicain et démocrate.