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Titre du blog : La Nation
Auteur : africanostra
Date de création : 13-11-2009
 
posté le 19-12-2010 à 06:04:37

Côte d'Ivoire...

Les raisons de l'impasse?

***

 

L’IMPASSE EN CÔTE D’IVOIRE

L’ensemble des analystes et observateurs pose la question « Comment sortir de l’impasse en

Côte d’Ivoire ? ». Il faut sans doute rappeler pourquoi la Côte d’Ivoire est dans l’impasse.

 

QUELQUES RAPPELS POUR COMPRENDRE LA SITUATION

La Commission électorale indépendante (CEI) est une institution administrative chargée de

fournir les résultats provisoires des élections, le Conseil constitutionnel étant la juridiction

habilitée à proclamer les résultats définitifs.

La composition de la CEI a été déterminée à l’origine, en janvier 2003, par les accords de

Marcoussis entérinés par la Conférence dite de Kléber à Paris. Des mouvements armés,

aujourd’hui disparus, y étaient représentés à l’égal des formations parlementaires. Dès le

départ, cette institution dite indépendante reproduisait les antagonismes de l’échiquier

politique ivoirien. Cette composition a été modifiée à la marge lors de discussions ultérieures

(Accra, Pretoria).

 

Contrairement à ce qui est souvent affirmé dans les médias, la CEI, institution

ivoirienne n’est pas paritaire. Elle est éminemment défavorable au Président sortant

Laurent Gbagbo, candidat de la majorité présidentielle.

En effet, le présidium de la CEI fort de 5 membres compte 4 représentants pro-Ouattara

contre 1 pro-Gbagbo. Il y a 16 commissaires pro-Ouattara contre 6 pro-Gbagbo. Les 19

Commissions électorales régionales sont contrôlées par des pro-Ouattara et sur les 415

commissions électorales locales, 380 sont contrôlées par des pro-Ouattara contre 35 par des

pro-Gbagbo.

Pour limiter ce déséquilibre, il était convenu que la CEI fonctionne par consensus et que les

résultats du scrutin soient fournis sur la base d’un double comptage, manuel et électronique.

Le Conseil constitutionnel, dont la création est un des éléments des réformes d’Etat engagées

par Laurent Gbagbo pour doter le pays d’institutions juridiques conformes au standard

républicain, est composé selon les mêmes procédures que le Conseil constitutionnel en

France. Il est présidé et composé de juristes ivoiriens éminents et non de simples partisans

comme nombre d’observateurs le laissent entendre.

 

LES RAISONS DE L’IMPASSE

La CEI n’a pu proclamer de résultats provisoires dans le délai de trois jours qui lui était

imparti. Il revenait, dès lors, au Conseil constitutionnel de proclamer les résultats définitifs

sur la base des données transmises par la CEI. Alors que le Président de ce Conseil annonçait

à la télévision, le jeudi 2 décembre, cette procédure, le Président de la CEI, M. Youssouf

Bakayoko, non entouré des commissaires de la CEI, proclamait hors délai des résultats

provisoires à l’Hôtel du Golf, devenu le quartier général du candidat du RHDP Alassane

Ouattara. Il accordait 54,1 % des suffrages à Alassane Ouattara contre 45,9% à Laurent

Gbagbo.

Fruit du comptage manuel, ces résultats entérinaient une fraude manifeste révélée par le

comptage électronique. En effet, sur les 20 073 procès-verbaux de bureaux de vote, plus

 

de 2000 ont été rejetés car ils comportaient un nombre de votants supérieur au nombre

d’inscrits.

La scène du mardi soir 1 er décembre où l’on a vu deux représentants de la majorité

présidentielle empêcher le porte-parole de la CEI, proche de Ouattara, de lire les résultats des

trois premières régions, (dont deux étaient d’ailleurs favorables à L. Gbagbo) s’explique par

le fait qu’à ce moment les responsables du comptage électronique venaient à peine de

récupérer les données après un bras de fer de 48 heures avec le Premier ministre et le

Président de la CEI qui feignaient de s’étonner de cette situation. Les données ont été

enregistrées par le système électronique dans la nuit du mardi au mercredi seulement.

La fraude, révélée par le comptage électronique, étant manifeste dans les régions du

Nord, la CEI ne pouvait plus fonctionner par consensus dans la journée du mercredi 1

er décembre. D’où la proclamation solitaire du Président de la CEI, le lendemain au

quartier général du candidat Ouattara, pour frapper par avance de suspicion les

décisions à venir du Conseil constitutionnel.

Le Conseil constitutionnel a fonctionné strictement sur des bases juridiques en analysant les

recours déposés par la majorité présidentielle qui portaient sur environ 600 000 voix.

Sur 16 des 19 régions représentant plus de 85 % de l’électorat les résultats de la CEI

confirmés par le Conseil constitutionnel donnent 2 038 000 voix à Laurent Gbagbo, soit 52,6

% et 1 837 173 voix à Alassane Ouattara soit 47,39 % des voix.

Les recours déposés par la majorité présidentielle et retenus par le Conseil constitutionnel ont

conduit à l’annulation de 7 des 11 départements dans 3 des 5 régions du Nord, à savoir les

départements de Boundiali, Ferkéssédougou, et Korhogo dans la région des Savanes, les

départements de Bouaké, Dabakala et Katiola dans la région de la Vallée du Bandama, et le

département de Séguéla dans la région du Worodougou.

Les annulations se fondent essentiellement sur le fait que les représentants de la majorité

présidentielle ont été physiquement empêchés d’accéder aux bureaux de vote ou en ont été

expulsés. Cela a permis de bourrer les urnes. On constate en effet, que dans les régions du

Nord, le nombre de votants est souvent supérieur au nombre d’inscrits et que le nombre de

suffrages exprimés a éré encore plus important au second tour qu’au premier (+ 10,31 % dans

la région du Bafing, + 13,94 % dans le Denguélé, + 10,65 dans les Savanes et + 13,62 dans le

Worodougou) alors que le jour du scrutin, tous ceux qui le suivaient soulignaient que la

participation était en baisse.

De plus, les éléments des Forces armées des Forces nouvelles (FAFN) sont sortis armés le

jour du second tour alors qu’ils étaient officiellement cantonnés et désarmés depuis la fin du

mois de septembre dans les camps de Bouaké, Korogho, Séguéla et Man.. Les Forces de

l’ONUCI ne se sont jamais interposées et le vote s’est fait le plus souvent sous la contrainte

dans les régions du Nord. Les partisans de la majorité présidentielle ont été pourchassés,

soumis à des violences, leurs représentants parfois séquestrés. Une représentante a même été

battue à mort à K

La volonté de fraude des partisans d’Alassane Ouattara dans les régions du Nord est

incontestable, même si elle semble avoir échappé aux observateurs de l’Union européenne.

Les violences et irrégularités graves ont été relevées par la mission des observateurs de

 

l’Union africaine et des témoignages très nombreux ont étayé les recours de la majorité

présidentielle.

Le scrutin s’est déroulé de façon équitable dans le reste du pays et le candidat Ouattara n’a

déposé aucun recours. Sur cette base, qui concerne plus de 80 % de l’électorat, il a été dit très

officiellement par l’ONUCI que le scrutin était globalement démocratique, mais la fraude au

Nord a été de nature à inverser les résultats du scrutin de ce second tour.

 

LE RÔLE DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE

La prise de position immédiate, le vendredi 3 décembre, du représentant spécial du secrétaire

général des Nations Unies, M. Young-jin Choï, ne reconnaissant pas les résultats donnés par

la seule juridiction ivoirienne habilitée à proclamer les résultats définitifs, viole la Charte de

l’ONU qui réaffirme dans son action le respect des institutions d’un pays souverain. La

certification du processus électoral suppose que le déroulement du processus électoral est

conforme à la Constitution et au code électoral que les Ivoiriens se sont souverainement

donné.

En choisissant de valider les résultats provisoires d’une institution administrative, la

Commission électorale indépendante, où la majorité présidentielle était minoritaire de par la

volonté de la communauté internationale, le représentant de l’ONU a donné un signal fort à

l’ensemble des puissances occidentales. En premier lieu, la France et les Etats-Unis, par la

voix de leur Président respectif, MM. Sarkozy et Obama, Pourtant la veille, dans la soirée du

2 décembre, l’Elysée précisait dans un communiqué « il appartient désormais au Conseil

constitutionnel de proclamer les résultats définitifs dans le strict respect de la volonté

clairement exprimée par le peuple ivoirien ». Ce respect signifie-t-il que le Conseil

constitutionnel de Côte d’Ivoire devait avaliser la fraude évidente des régions du Nord

entérinée par la Commission électorale indépendante ?

Mandaté par l’Union africaine, l’ancien Président sud-africain Thabo M’Béki a conduit une

médiation de 48 heures, les 5 et 6 décembre. On sait les relations difficiles entre Thabo Mbéki

et l’actuel Président sud-africain Jacob Zuma qui se sont livrés jadis un duel sans merci au

sein de l’ANC. Avant même que Mbéki dépose ses conclusions, la Communauté des Etats

d’Afrique de l’Ouest, fortes de 16 pays membres, (avec 7 chefs d’Etat sur 13 délégations

présentes) s’est dépêchée de soutenir la position des puissances occidentales.

La Russie (Tchétchénie oblige) n’a pas résisté longtemps au Conseil de sécurité, plongeant la

Côte d’Ivoire présidée par Laurent Gbagbo dans un isolement diplomatique complet. Le 13

décembre, l’Union européenne s’est engagée dans un processus de sanctions.

Ce bras de fer entre la Côte d’Ivoire qui s’est remise au travail et la communauté

internationale dont l’unanimisme immédiat au nom de la vertu démocratique peut sembler

suspect peut déboucher sur des affrontements gravissimes. Unanimisme suspect quand on voit

le pudique et assourdissant silence des Etats-Unis, de la France et de la communauté

internationale face aux élections législatives en Egypte et à la réélection dans son pays du

médiateur de nombre de crises africaines, M. Blaise Compaoré, avec plus de 80 % des voix

dès le premier tour, lui permettant de rester à la tête du Burkina Faso pendant 28 ans.

Le Président Gbagbo a-t-il commis l’irréparable en Afrique en faisant tout pour mettre en

place des institutions républicaines et en laissant se développer un processus électoral de

 

façon ouverte sur la base d’une présomption de bonne foi à l’égard de son principal adversaire

politique pour qui les institutions financières internationales qu’il a servies, les Etats-Unis, la

France ont toujours eu les yeux de Chimène.

Cette situation sans précédent en Côte d’Ivoire pose avec acuité le rôle historique de l’ONU

sur le continent africain et d’une certaine façon sa crédibilité aux yeux de tous les citoyens de

la planète. Facteur de paix et de sécurité comme l’expriment ses textes ou garant des intérêts

des puissances et d’un ordre mondial injuste et inégalitaire.

Ce n’est que quarante ans après les indépendances africaines qu’a été mis à jour le jeu trouble

de l’ONU dans l’assassinat, le 19 janvier 1961, au Congo Kinshasa du Premier ministre

Patrice Lumumba, défenseur de la souveraineté de son pays. Un demi-siècle plus tard, en

2010, la méthode est plus policée pour écarter un dirigeant politique jugé indocile, même si

tout son parcours s’est inscrit dans la conquête de la démocratie et la mise en place

d’institutions républicaines souveraines. C’est effectivement une quasi exception sur le

continent africain.

 

 

Paris, 14 décembre 2010

Guy LABERTIT

Ancien délégué Afrique du PS (1993-2006)

Auteur aux éditions « Autres Temps » de

« Adieu, Abidjan-sur-Seine », les coulisses du conflit ivoirien (2008)

« Côte d’Ivoire, sur le sentier de la paix » (2010)