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Titre du blog : La Nation
Auteur : africanostra
Date de création : 13-11-2009
 
posté le 01-10-2010 à 04:32:38

LA DEMOCRATIE GABONAISE ET L'ORDRE PUBLIC (suite & fin)

 

La prolifération des régimes exceptionnels de police:

Obstruction à la démocratie?

 

 

 ***

 

 

II-Le renforcement des pouvoirs de police d'exception au lendemain de la Conférence Nationale

Afin de suivre le développement du processus dont les instruments adoptés après la Conférence Nationale de Mars-Avril 1990 renforcent le dispositif de maintien de l'ordre public à travers l'état d'alerte, l'état d'urgence et l'état de siège, il est essentiel d'adopter un plan d'exposé en forme évolutive. En effet, au regard des trois principales Constitutions dont je dispose de textes (1975, 1990 et 1991), l'établissement des régimes de police d'exception apparaît, tout d'abord, comme une hypertrophie des pouvoirs exorbitants du président de la République (A). Or, dans le contexte de la Conférence Nationale, influx nerveux de  la démocratisation au GABON, on assiste à un dédoublement opérationnel des régimes exceptionnels de maintien de l'ordre au sein de l'Exécutif (B).

 

A)-Une hypertrophie des pouvoirs exorbitants du président de la République

Dans la Constitution de 1975 (Loi n°1/75 du 15 Avril 1975)*, modifiée en 1986 (Loi n° 11/86 du 25 Septembre 1986)*, l'Article 20 dispose: "Le président de la République peut, lorsque les circonstances l'exigent, et après consultation du Premier Ministre, du bureau politique du Parti démocratique gabonais et du bureau de l'Assemblée nationale, proclamer par décret l'état de siège, l'état d'alerte ou l'état d'urgence qui lui confèrent des pouvoirs spéciaux dans les conditions fixées par la loi" (voir Journal hebdomadaire d'informations et d'annonces légales N°126-6Décembre 1986, p.226 à 227)*.

 

Ces prescrits mettent effectivement en relief les pouvoirs exorbitants de la fonction présidentielle. Ceci signifie, plus précisément, que l'état de siège, l'état d'alerte et l'état d'urgence sont relève d'un acte administratif du président de la République, successeur du Premier Ministre, sous la République gabonaise pré-Indépendance.

 

La preuve que le Premier Ministre, dans ce système, est dépouillé de ces pouvoirs, est donnée à l'Article 27 in fine de la Constitution, qui fait simplement obligation au chef de l'Etat de saisir le Conseil des ministres de "la proclamation de l'état de siège, de l'état d'alerte ou de l'état d'urgence." C'est à cet effet qu''un certain nombre d'analystes s'est interrogé sur l'effectivité du statut de "chef du Gouvernement" alors affublé au Premier ministre (Article 25, alinéa 2)*.

 

Résultat d'improbables compromis, la Constitution transitoire de 1990 (Loi n°4/90 du 28 Mai 1990)* fait légèrement évoluer la situation vers une dé-concentration des pouvoirs exceptionnels du président de la République en matière de régimes de police. Ainsi, en écho à l'Article 18, l'Article 25 inclut-il, in fine, l'état de mise en garde dans les régimes exceptionnels de maintien de l'ordre public dont les actes réglementaires doivent être délibérés en Conseil des ministres (voir Journal hebdomadaire d'informations et d'annonces légales, N° 211-9 Juin 1990)*.

 

Comme le Gouvernement, qui est impliqué a minima dans ce processus, on note autant l'absence de la Réprésentation nationale. Deux lacunes que va combler ou tenter de combler la Constitution "démocratique" de 1991 (Loi n° 3/91 du 26 Mars 1991)* aujourd'hui en vigueur. En effet, celle-ci fixe en son Article 25 la norme suivant laquelle le chef de l'Etat "peut, lorsque les circonstances l'exigent, après délibération du Conseil des ministres et vote de l'Assemblée nationale à la majorité des deux tiers, proclamer par décret l'état de siège, l'état d'alerte ou l'état d'urgence..."

 

La réparation de cette insuffisance institutionnelle est, vraisemblablement, le prélude à un mouvement qu'on pourrait qualifier de dédoublement opérationnel du pouvoir exécutif en matière de maintien de l'ordre public en état de nécessité.

 

 

B)-Un dédoublement opérationnel des régimes exceptionnels de maintien de l'ordre au sein de l'Exécutif

Si l'on peut se féliciter du desserrement des pouvoirs du président de la République au travers d'une responsabilisation du Premier ministre dans l'exercice des compétences liées aux régimes de police d'exception, cette double force d'opération renforce simplement l'Exécutif au détriment du Législatif et du Judiciaire, dans une question intimement liée aux libertés publiques et aux droits fondamentaux de la personne.

 

Au titre du motif de satisfaction, il importe de noter que la révision de la Constitution de 1991 en 1994 (Loi n°1/1994 du 18 Mars 1994)* introduit un Article 29a, qui énonce en son premier alinéa que le chef du Gouvernement "peut, lorsque les circonstances l'exigent, après délibération du Conseil des ministres et consultation des Présidents des chambres du Parlement, proclamer par arrêté l'état de mise en garde, dans les conditions déterminées par la loi." La configuration prévue par la Loi n°45/59 sur ce régime de police d'exception s'inscrit à ce point de vue dans la continuité par rapport aux pouvoirs du Premier ministre.

 

Il en est finalement ainsi de l'institution de l'état d'alerte également prévue par la Loi de 1959 sur le maintien de l'ordre public en République gabonaise. Car le Premier Ministre proclame aussi l'état d'alerte "par arrêté [...] après délibération du Conseil des ministres et consultations des Bureaux des deux chambres" (Article 29a, alinéa 2)*. Mais la différence entre la décision par décret et l'action par arrêté indique clairement que les pouvoirs exceptionnels de l'ancien Premier Ministre sont dorénavant dévolus à l'actuel président de la République.

 

Ceci signifie donc que le couple du Pouvoir exécutif est tout entièrement dotés de pouvoirs exorbitants dans des situations dont les deux titulaires de ces charges sont presque seuls à déterminer l'impact ou la menace sur l'ordre public.

 

En effet, aux termes de la Constitution, le président de la République domine la sphère de l'état d'urgence et de l'état de siège (Article 25). Tandis que le Premier Ministre excelle dans le champ de l'état de mise en garde et de l'état d'alerte; les quatre (4) régimes de police fondamentalement attentatoires aux garanties constitutionnelles et autres sûretés individuelles, dont la Démocratie a tant besoin pour vivre t grandir.

 

 

***

 

Malgré la profusion des bonnes intentions prêchées par les acteurs politiques, les institutions sont porteuses de non-dits dont le sens premier et la signification profonde traduisent la volonté réelle d'une classe dirigeante à voir prospérer ou non les principes de Liberté, d'Egalité, de Justice et de Dignité dans une Société.

 

Aussi, lors même que la Constitution proclame que la République du GABON a pour principe: "Gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple" (Article 2, alinéa 7)*, la Loi fondamentale fait insidieusement obstruction à cette avancée en s'accommodant d'un dispositif répressif fondé sur le pouvoir discrétionnaire des principaux dirigeants du Pays, qui jouissent presque sans limite de pouvoirs normalement appliqués à des Société en proie aux conflits armés.

 

Cette dynamique du "frein contre moteur" vis-à-vis de la Démocratie est si manifeste, que le Citoyen a le net sentiment de n'avoir aucune possibilité de voir garantis et préservés ses droits les plus élémentaires comme la présomption d'innocence, l'inviolabilité du domicile, la protection contre la torture et l'arbitraire du pouvoir, dont notre Civilisation s'est dotée en adoptant les valeurs de la Révolution française et de la Déclaration universelle des droits de l'homme.

 

En période d'état de siège, par exemple, l'autorité militaire supplée aux civils dans la gestion de la chose publique (voir arrêté n° 1740/PR du 6 juin 1990 déterminant les pouvoirs de l'autorité militaire pendant la durée de l'état de siège)*.

 

En situation d'état d'alerte et d'urgence, des pouvoirs tout aussi exorbitants sont attribués à certaines autorités civiles qui, en principe, n'en n'ont pas compétence. Une perspective de violation des droits fondamentaux et de confusion de pouvoir, dont on ne peut fixer avec certitude la fin ou la limitation aux manifestations visées.

 

Il est peut-être temps de se rappeler du principe élevé à l'Article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 Août 1789:

 

"Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de constitution."

 

 

Arthur BENGA NDJEME

Paris, le 1er Octobre 2010, 00:13