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Titre du blog : La Nation
Auteur : africanostra
Date de création : 13-11-2009
 
posté le 13-08-2010 à 12:17:12

LE GABON, INDEPENDANT

 

 

INDEPENDANT!

 

 

***

 

Du 31 Mai au 1er Juin 2010 se tient, à Nice, le 25e Sommet "Françafrique". Que vois-je à travers les médias? Tout un continent, à l'exception de quelques parias et quelques autres pays englués dans des crises internes; tout un continent, dis-je, derrière un seul pays d'une soixantaine de millions d'habitants et qui, au regard des standards actuels d'évaluation des Puissances, n'en n'est presque plus une.

 

Effet d'illusion, ou vertige créé par la déception, tout laisse à croire que l' "Afrique" n'a jamais été aussi dépendante de la France qu'aujourd'hui, alors que la pratique cinquantenaire des Indépendances devrait permettre d' affermir sa personnalité juridique interne et internationale. Peut-être, est-ce l'occasion de donner une définition de l'indépendance? Je vais m'y essayer, en prenant appui sur les acceptions convenues et conventionnelles. Car, comme le recommande le Doyen PRADEL, "une bonne définition épargne d'embarras et de perplexités".

 

Composée du préfixe négatif in et du suffixe latin dependere, l'indépendance évoque, avant tout, une "absence de subordination" (Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, Op. cit., p.471)*. Définition fondamentale, lorsqu'on se rappelle que les pays qui accourent aujourd'hui autour de la France sont ceux-là qui réclamaient, parfois dans la violence, la cessation de leur assujettissement; et qu'ils l'ont obtenue!

 

Cette acception est d'autant plus fondamentale, que l'indépendance ne doit pas être prise à la légère et confondue avec une fausse amie: l'autonomie, qui elle, évoque l'attribut des Collectivités ou autres Départements intégrés à un Etat souverain mais auxquels ce dernier reconnaît "une certaine liberté interne de se gouverner ou de s'administrer eux-mêmes" (Vocabulaire Cornu, Op. cit., p.93)*. On y perçoit clairement la survivance d'un lien de soumission.

 

Ce qui n'est pas le cas de l'indépendance qui, appliquée à un Etat, a pour synonyme Souveraineté car elle désigne le "droit pour un Etat d'exercer par lui-même l'ensemble de ses compétences internes et externes sans subordination à un autre Etat ou à une autorité internationale..." (Vocabulaire Cornu, Op. cit., p.472)*. Seule contrainte de cet ordre: le respect des normes internationales auxquelles il souscrit d'ailleurs librement. Qu'est-ce donc que la Souveraineté, si  ce n'est le "Caractère d'un pouvoir originaire et suprême"? Originaire, parce que de lui "procèdent tous les autres. Pouvoir suprême [parce qu'] au-dessus duquel il n'y en a pas d'autre" (Michel de VILLIERS, Vocabulaire de droit constitutionnel, Op. cit., p.215)*. Le Pouvoir des Etats africains indépendants devrait donc suffire à établir, définir, délimiter ses propres compétences.

 

Est-il loisible de lire ces éléments à la lumière des pratiques africaines? Ces pratiques obséquieuses ne donnent-elles pas l'image de pouvoirs pilotés d'ailleurs, télé-commandés, téléguidés? N'y aurait-il pas ainsi matière à considérer qu'entre les principes ou théories et la vie réelle de l'Etat dit "indépendant" existe un vide abyssal?

 

 

 

Alors, en voyant le Sommet de Nice, je me suis dit: de deux choses, l'une: ou, c'est moi qui ne comprends rien à ces mouvements  que les Africains ont célébrés avec faste et qu'ils ont dénommés "Indépendances"; ou, il y a quelque chose, dans la conscience de gouvernement des dirigeants de ce continent, qui ne converge pas avec les incidences de l'accession des anciennes colonies des puissances impérialistes d'Europe à la Souveraineté internationale.

 

Ont-ils réellement compris ce que c'est qu'être Indépendants ou feignent-ils astucieusement de l'ignorer afin de colmater de l'extérieur leurs propres fêlures, en continuant à entretenir une relation priviligiée toute factice avec l'ancien maître, qui clame pourtant haut et fort que l'Afrique ne lui apporte aucune valeur ajoutée dans ses échanges économiques et commerciaux? Les dirigeants africains ne seraient-ils finalement pas en mal d'inspiration, pour se fabriquer un rêve commun, sans qu'ils ne soient (encore!) obligés de se réunir en masse autour d'un (seul) étranger, dont la légitimité est au demeurant contestée par sa propre opinion publique?

 

En somme, je me suis posé la question de savoir: en quoi le GABON est-il indépendant, au regard d'une messe de cette nature, célébrée avec retentissement en Côte d'Azur  à l'orée du cinquantenaire du "17 Août"? Je choisis d'y répondre en confessant volontiers qu'en matière de politique, je n'y connais rien car la gestion d'un "Etat importé" a ses contraintes (I); mais, qu'au regard des tribulations de l'Etat post-colonial, on est bien forcé d'admettre la désillusion des indépendances africaines (II).

 

 

I-LES CONTRAINTES DE GESTION D'UN "ETAT IMPORTE"

La plupart des analyses consacrées à "l'Etat importé" (Bertrand BADIE)* ou notamment instauré en Afrique, au lendemain des mouvements de colonisation et dé-colonisation ne tient souvent pas compte d'une question fondamentale: l'Héritage (1); tout comme les afro-optimistes biaisent la propension dudit Etat au psyttacisme institutionnel (2).

 

(1)-La question fondamentale de l'Héritage

En discutant un jour avec une camarade, qui me rappelle à souhait que je ne suis pas indulgent avec les dirigeants africains, celle-ci me laisse entendre que ces individus sont confrontés au défaut d'Héritage des pays dont ils ont la charge. Les jours qui ont suivi cette discussion m'ont permis de méditer sur ce que seraient les Etats africains, érigés sur un modèle sociétal solide, des constructions immobilières et institutionnelles centenaires ou millénaires et prospères, comme ceux d'Europe et de l'Amérique du Nord...

 

J'en souris encore.

 

Que vaut l'Etat africain profusément qualifié de "post-colonial", à l'instar d'autres entités de nature similaire, qui font la pluie et le beau temps sur la scène publique internationale? Au regard de son Héritage (Traite , colonisation, exploitations diverses, soumission à la loi du Marché), on a envie de dire: RIEN! En effet, à défaut de se limiter à des douleurs communes et à des déchirements forcés, l'Héritage des Etats africains n'est pas aussi considérable que le Patrimoine historique des grandes puissances aujourd'hui donneuses de leçons.

 

Il importe donc, et j'en conviens dorénavant, d'avoir quelque indulgence pour cette catégorie de Sociétés, qui n'ont que leur seule force physique et mentale pour exister, pour n'avoir eu ni colonies, ni possessions, ni autres peuples soumis et travaillant pour leur bonheur, y compris la félicité des générations futures.

 

Reliée à l'Indépendance, la notion d'Héritage est celle-là qui devrait inviter les politiques et les analystes des questions africaines à un peu plus d'humilité. On ne peut, au terme d'une cinquantaine d'années d'exercice des institutions, prétendre avoir acquis tous les leviers de la  Puissance, et encore moins de la Dignité et de la Liberté, lorsqu'on sait que Liberté signifie précisément: "la capacité de s'accomplir par soi-même" (Erika KRCOVA, Le principe de subsidiarité en Droit international et européen, Universita Komenského Bratislava, 2007, p.10)*.

 

Les Etats sont exactement comme les personnes physiques. Comment un écolier, un élève, un étudiant dont les parents ne détenaient que deux poules et un grenier d'arachides pourraient-il raisonnablement rivaliser, en termes de mérites et d'excellence à l'Ecole avec d'autres, nés de pères et/mères notaires, industriels ou professeurs et qui n'auraient qu'un éventail de choix des différents métiers s'offrant à eux? Quelle marge de manoeuvre, au regard de l'énorme pression exercée sur les indigents, leur est-elle laissée quant à la diversification d'orientation dans la vie professionnelle? On a également envie de dire: AUCUNE!

 

C'est pourquoi, en paraphrasant CYRULNIC, je dirais que l'Etat africain est un "Etat résilient" (Voir Un merveilleux malheur, "Poche Odile Jacob", Paris, 2002)*. En dépit des traumatismes qu'il a vécus, il tient plus ou droit sur les trajectoires et vers les horizons qu'il s'est fixé: survivre et exister en face ou près de ceux qui n'ont nullement besoin de prouver au quotidien leur capacité à s'accomplir par eux-mêmes. RENAN le dit si bien. Il faut, à un groupe d'hommes, pour se constituer en cet agrégat solide appelé NATION et capable de faire respecter ses droits de l'intérieur comme de l'extérieur, avoir "[d]ans le passé un HERITAGE de gloire et de regrets à partager, dans l'avenir un même programme à réaliser; avoir souffert, joui, espéré ensemble..." (voir Qu'est-ce qu'une nation? Le Mot et le reste, Op. cit., p.34)*.

 

Toutefois, ce qui me consterne dans ce tableau, c'est la toile de fond: les dirigeants africains récitant à tue-tête les discours et modèles institutionnels importés, comme s'ils avaient la "capacité" de les domestiquer. C'est ce travers que j'appelle psyttacisme institutionnel.

 

 

(2)-Le problème du psyttacisme institutionnel

Les dirigeants africains, sans exception ou rarement, sont connus comme les meilleurs exégètes des institutions occidentales. Sékou TOURE, Omar BONGO, Léopold SENGHOR et bien d'autres les connaissent par coeur. Quels enseignements cette "connaissance" a-t-elle permis de tirer quant à la gestion publique des Etats à eux confiés? Les avis, seront, naturellement partagés. Mais s'il y avait une once de prospérité, d'industrialisation et d'émergence de ces Etats vers la Puissance, cela se saurait. Des essaims de migrants émis par ces Etats ne pendraient pas comme des goitres à la gorge des pays du Nord!

 

Il est à noter simplement la dichotomie entre la connaissance théorique des institutions d'importation et l'exercice du pouvoir in situ, avec ses singularités, ses particularismes et ses besoins. Que font ces dirigeants avec autant de savoirs? Comment ne pas concilier une si grande "érudition" des faits politiques d'ailleurs mais non moins originels, avec la vie des institutions dont ils pourvoient au gouvernement?

 

Ceci relève des nombreux mystères de la "sorcellerie" africaine: l'inadéquation entre savoirs et savoirs-faire; laquelle inadéquation conduit les plus pessimistes à conclure à la désillusion des indépendances.

 

II-LA DESILLUSION DES INDEPENDANCES AFRICAINES

N'est-il pas légitime de penser que les Indépendances africaines ont été dévoyées? Au regard des alibis fournis plus haut, on serait tenté de répondre par la négativve. Cependant, deux arguments peuvent aider à y répondre par l'affirmative. D'une part, on ne peut concevoir que des Etats indépendants soient aussi fort dépendants de l'assistance humanitaire (1). D'autre part, il échappe à la conscience collective le fait que l'Afrique ne s'engage pas, cinquante ans après les Indépendances, sur la voie de la véritable indépendance de toute Société humaine: la puissance militaire (2).

 

(1)-Les écueils de l'assistance humanitaire

Il se déroule, en Afrique, une lecture surréaliste du principe de subsidiarité, qui postule que les actions insuffisamment menées sur le plan local (par l'Etat africain) sont renforcées ou sujettes à ingérences des acteurs externes par l' intervention de l' "Etat-patron" (Bertrand BADIE, L'Etat importé, Fayard, Paris, 1992, p.37)*, ancienne puissance colonisatrice. Alors, au lieu d'appliquer cette leçon de subsidiarité au bénéfice des collectivités locales, l'Etat africain la déploie envers les individus dans une pratique de dons aussi désastreuse pour les institutions que pour l'autorité des "nouveaux Etats".

 

Ainsi se développe partout en Afrique, une forme d'institution de l' "Etat charitable", que les ONG et autres associations humanitaires n'ont aucune peine à concurrencer dans la gestion des questions domestiques. Question: un Etat indépendant peut-il être aussi lié à l'aide humanitaire ou déploie-t-il sa propre "capacité à s'accomplir" par lui-même?

 

Des esprits brillants ont dépuis longtemps théorisé sur l'énigme des dons et le caractère indirectement indigent de l'assistance, qui paralysent toute capacité des Etats dé-colonisés à  se prendre enfin en charge, comme un individu à qui parents et amis paieraient les factures sans qu'il ne sache réellement apprécier ce que c'est qu'être indépendant.

 

Et, au choeur des pessimistes, il importe d'ajouter ceux qui dénoncent le tabou de  la puissance militaire.

 

(2)-Le tabou de la puissance militaire

Une vidéo de Carlotta Ranieri de France 24 circule depuis mercredi à propos de la remise en cause de la présence militaire française au Tchad depuis 1986.  Cette image donne un appui concret à cette curiosité  que j'appelle "le tabou de la puissance militaire" des pays africains. Car, avant d'être une affaire collective, la puissance est d'abord individuelle, tout comme le pouvoir est fondamentalement monolithique.

 

L'une des preuves les plus patentes de la "dépendance" des Etats africains, c'est leur impuissance militaire.

 

Les pays africains préfèrent se spécialiser dans la circulation illicite des armes qu'investir dans la recherche et l'ingénierie dans la formidable industrie militaire dont les technologies, transversales, sont aussi bien pourvoyeuses d'emplois que motrices des intelligences.

 

Qui peut-il faire croire à un Citoyen qu'un pays est indépendant sans capacité propre de se faire respecter? Est-il, en conséquence, possible de se faire respecter sans instrument de sécurité et de défense tout au moins dissuasif? Evidemment, c'est une question taboue: l'Afrique et la puissance militaire est encore aujourd'hui une antinomie, alors que la notion d'Indépendance est loin d'être fictive et nominale.

 

L'indépendance commence par le Citoyen, qui se sent libre de toute contrainte ou de tout paternalisme extérieur et n'accepte l'action de la Puissance publique qu'en cas d'insuffisance de sa propre initiative. Aussi, l'Indépendance des groupes sociaux que sont les Etats post-coloniaux devrait d'abord se fonder sur leur capacité à se protéger par leurs propres moyens, avant -système de sécurité collective oblige- de se pourvoir auprès de soutiens extérieurs.

 

Or, tel ne semble pas être l'image que renvoit la vie des pays africains, qui célèbrent en cette année 2010 le Jubilé de leurs Indépendances. C'est pourquoi je leur propose de transformer le soleil ardent de l'Afrique en or pur: l'indépendance, en puissance.

 

 

Conclusion:

Convertir l'indépendance en Puissance

Lorsque mon grand-père me parlait de "Dipanda", sa façon à lui, français indigène, de me rappeler qu'il était Indépendant, je me suis promis de demander aux gouvernants africains ce qu'ils donnaient de contenu à cette déclaration, qui détonne comme un éternuement: "In-dé-pen-dant!"

 

En près de quatre décennies d'observation de la pratique de l'Indépendance du GABON, deux sentiments mitigés m'envahissent. Nous avons, à l'opposé des "Dominique" et "Thomas" (DOM/TOM) su nous approprier les rênes de notre destin. Soit. Mais, à l'inverse, sommes-nous capables de répondre avec précision et sincérité aux quatre (4) questions qui taraudent la Nation en ce 17/08/2010, anniversaire de l'accession du GABON à la souveraineté nationale et internationale:

 

1-Où allons-nous?

 

2-Que voulons-nous?

 

3-Que pouvons-nous?

 

4-Que faisons-nous?

 

De la réponse à ces questions dépendra la capacité du GABON et de ses "frères" africains à conquérir les instruments de la Puissance. L'Indépendance ne s'est pas vendue au prix que les Peuples coloniaux avaient fixé: Liberté sans entraves et dans tous les domaines, à l'intérieur comme à l'extérieur de ces Etats préfabriqués.

 

Il faut donc oser franchir l'étape suivante, puisque la voie de la Liberté est obstruée et sa voix inaudible; c'est-à-dire: se doter des moyens modernes en termes d'infrastructures, d'industries, de technologies, de finances, de rayonnement culturel, de recherches scientifiques et technologiques dans tous les domaines susceptibles de protéger la Dignité du citoyen.

 

En souhaitant à chacune et à chacun, concitoyens et amis du GABON, une excellente Fête Nationale ou fête du "17 Août",  le devoir de citoyen m'oblige à nous rappeler cette pensée de HEGEL, citée par KRCOVA (Op. cit., p.7)*,  à propos du peu et du trop d'Etat dont souffre l'Etat post-colonial en général:

 

"L'Etat envahissant oblige à redéfinir sa présence. Mais l'Etat absent - dont l'absence obsessionnelle rappelle la nécessaire présence - oblige à penser les conditions de sa naissance ou de sa renaissance."

 

 

 

Arthur BENGA  NDJEME:

PARIS, le 10 Aout 2010.